Si ses racines plongent dans une psychologie fragilisée par la fatigue, le stress, l’angoisse devant les exigences de l’avenir, le découragement a aussi une origine et un visage profondément spirituels. L’abattement, s’il est souvent répété, fait monter en l’homme de foi une désespérance amère comme celle de Gédéon (Jg 6) ou conduit à une démission comme celle d’Élie (1 R 19,4) dans l’Écriture. Mais il n’est pas rare qu’il fasse suite à une recherche de performance ou de sainteté. Des maîtres spirituels comme Ignace de Loyola ou François de Sales en ont d’ailleurs fait l’expérience (D. Salin). Cette tentation s’immisce et prospère dans les relations les plus intimes, conjugales et parentales, quand l’habitude, les défenses, éteignent l’amour, voire le désir de la présence gratuite de l’autre (G. Jurgensen). Mais elle n’est pas imprévisible. Cette tentation est l’aboutissement d’un processus de dégradation intérieure déjà repéré par les Anciens et que confirment aujourd’hui ceux qui accompagnent des personnes en grande difficulté. Comment rester proche et à l’écoute sans se laisser détruire ? Une relation fidèle et patiente peut progressivement tisser une confiance nouvelle (J.-G. Xerri).
Sans doute est-ce l’art qui exprime au plus juste la tension paradoxale du découragement. L’artiste frôle les profondeurs abyssales de l’angoisse. Mais il n’y tombe pas, comme si, en deçà des apparences, il était retenu par d’imperceptibles signes de vie : vie minérale, végétale et animale chez Mantegna, lumière de Caravage qui monte de l’intérieur des corps, ou encore la technique du portrait de Giacometti (M. Le Gac). C’est bien là, dans le corps, dans ce lieu unique et très personnel, que se défont et se refont les forces de la vie. C’est là que depuis la création Dieu veille, et restaure les forces de ceux qui, découragés, se tournent vers Lui. C’est en pleine liberté que Jésus entre dans sa Passion au sortir du Jardin. Par deux fois, l’ange du Seigneur intime à Élie, accablé par la haine de Jézabel, l’ordre de manger pour sortir de l’abattement (É. Poirot). On se souvient aussi qu’Ignace fut obligé par son confesseur à manger suffisamment pour ne pas se détruire physiquement et spirituellement, au moment de la tentation de Manrèse.
Mais les forces spirituelles ont elles aussi besoin d’être nourries et soutenues quand « le sol se dérobe sous nos pas » et que s’effondre l’univers de certitudes qui nous a portés. Proximité et amour fraternels, soutien communautaire et ecclésial sont là d’un prix inestimable (D. Palencia).
En va-t-il du corps social comme du corps individuel ? Comment notre société actuelle peut-elle retrouver la motivation indispensable à son avenir ? Peut-on élaborer et adopter des perspectives nouvelles, sans changer ensemble nos mentalités ? L’expérience spirituelle peut ici révéler la part de non-vérité présente dans nos réactions collectives (R. de Maindreville). Les réactions de certains chrétiens aux crises de 1929 et de 1973 nous invitent à relire la crise actuelle sous un angle spirituel. L’homme n’est ni la cause ni la fin de l’économie (J. Le Goff).
La conversion spirituelle demeure la seule arme fiable contre le découragement. À condition de ne pas imaginer une transformation totale de soi-même ou de l’autre. Mais, à la ressemblance même de la foi que Dieu met en l’homme, « nous convier les uns les autres au meilleur de nous-mêmes » (I. Le Bourgeois). C’est aussi ce que l’eucharistie nous invite à nourrir et à partager en Église chaque fois que nous la célébrons.