On imagine mal ce que pourrait bien être une vie sans rire ni humour. Et si Dieu, qui nous aime avec bonté, est la source de toute joie et nous destine à la béatitude éternelle, il ne peut que se réjouir de la gaieté qui nous habite, du rire qui donne goût à la vie, de l’humour qui l’allège en lui donnant de l’esprit, du sourire qui invite à se lier.
Alors oui, le rire est salutaire, quand tous ceux qui se réjouissent entrent tout entiers dans la joie, spécialement quand il apprend à honorer la gravité de la vie de la plus belle manière (A. Wellens). Si Jésus n’est jamais pris en train de rire dans l’Évangile, il regarde le monde sous des angles tels que les choses changent de dimensions, les proportions s’inversent, une lucidité nouvelle est donnée. Le trop sérieux de la vie y trouve du jeu pour qu’on puisse y naître à nouveau comme Nicodème : là où sera votre allégresse, là sera votre cœur (D. Aleixandre).
Le rire, en effet, est un geste du corps qui ouvre la réalité d’une chose ou d’une scène, à travers ce qu’elle a de drôle, à d’autres possibilités que ce pourquoi elle est là. Il fait donc sauter tout enfermement et invite chacun à percevoir l’infini des possibles pour lui (A. Cugno). S’il y a un rire bon et un humour fin dont la joie indique la présence de l’Esprit, il y a aussi un rire mauvais, haineux, moqueur ou méprisant, il y a un humour cynique et noir, des formes de dérision qui visent à blesser l’autre et à déconsidérer la réalité au profit du mensonge ou même du rejet (J. Martin).
Toutes ces formes de rire et d’humour trouvent leur place dans la Bible, même la moquerie ou le ridicule, chez les Prophètes en particulier. Il y a « un temps pour rire » dans la vie des hommes créés à l’image de Dieu (J. Ferry). Ainsi méditera-t-on sur le rire de Sara et la naissance étonnante d’Isaac, car ces récits avaient pour but d’inviter à ne pas désespérer et à faire preuve d’humour au milieu des pires épreuves que traversaient les Israélites (J. Trublet). L’Évangile, pour sa part, valorise l’allégresse des femmes, premiers témoins de la Résurrection, contre les ricanements et hochements moqueurs des hommes de pouvoir, de puissance, de loi (S. de Vulpillières). Avec les Pères de l’Église et les premiers moines se développe la critique d’un rire qui menace de distraire l’« homme de Dieu » et d’introduire un désordre dans ses pensées, dans son corps et dans le corps social du monastère (P. Molinié). Mais rire de soi n’est-il pas alors le chemin le plus sûr où nous conduit l’Esprit pour descendre des ciels inaccessibles ou des bas-fonds qui nous enlisent, et naître à nous-mêmes dans une plus grande simplicité, réconciliés avec nous-mêmes et les autres (R. de Maindreville) ? C’est aux croyants que Dieu a confié son immense bonheur, et la joie n’est pas reportée à la fin des opérations, comme une récompense bien planifiée.
C’est pourquoi nous n’avons pas fini de rire, portés par la force de la résurrection qui nous invite à frapper à toutes sortes de portes, même les plus closes ou rébarbatives (É. Grieu).