L’estime de soi est à l’ordre du jour. Que ce soit en matière d’éducation ou au sein du travail, elle apparaît essentielle dans l’équilibre d’une personne. Mais ce contexte nous rappelle aussi que l’estime de soi est au centre de la vie spirituelle, car elle trouve sa source dans une humanité créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Mais comment comprendre que les sociétés qui valorisent l’autonomie des sujets, leurs capacités d’action, soient en même temps celles dans lesquelles un nombre croissant de personnes et de groupes tendent à se dévaloriser sous le mode de la dépression ou de l’impuissance (Jean Caron) ?
Dans le monde du travail, la prise en compte de la question n’intervient que lorsqu’il y a déviance manifeste. Si elle est du côté de la surestime, on en prend acte ; si elle est du côté de la mésestime, on demande au médecin d’intervenir, ce qui signifie que le collaborateur concerné est sorti du fonctionnement habituel de l’entreprise (Caroline Ferté et Christian Sauret). Dans l’éducation, l’estime de soi pourrait se définir comme la juste appréciation de la distance qui sépare les compétences d’un sujet de ses performances. Cette appréciation doit être le fruit d’un travail permanent si le sujet veut poursuivre de manière sereine un chemin de croissance et donner le meilleur de lui-même.
Dans ces conditions, nous pouvons parler d’une éducation du désir (Daniel Casadebaig). La Bible recèle un personnage attachant qui peut nous rejoindre dans la quête d’une juste estime de soi, pour peu qu’on y prête attention : Gédéon. Dernier de la famille sans statut ni prétention, il est l’homme que Dieu choisit pour rassembler et libérer son peuple exténué par les razzia incessantes de Madiân, dans les montagnes méridionales de la Terre promise (Remi de Maindreville).
La fragilité peut pourtant sembler désagréable. Il s’immisce là un doute, et l’on se sent bien peu de chose devant Dieu qui nous donne tant. Depuis toujours, on pose sur soi-même un regard peu aimant. Même s’il reste du chemin à parcourir, nous sommes invités à demander ce que nous voulons (Isabelle Le Bourgeois). Dans l’oeuvre de la réforme de l’Église, tout renouveau se réalise, non par règlements ou contraintes, mais par un retour à l’action de l’Esprit dans les coeurs : « aider les âmes » à se retrouver, par des conversations, par le sacrement de réconciliation et par les Exercices spirituels (Claude Flipo). Car une mauvaise image de soi « impacte » beaucoup l’action.
Un philosophe met le désir de reconnaissance au coeur du lien social. Ce voeu s’appuie sur ce qui se passe de plus fondamental entre la mère et l’enfant, et cette assurance intérieure conditionne l’estime de soi au sein de la société (Jacques Arènes). La reconstruction du coeur est un processus qui ne se réalise pas selon un schéma préétabli, mais dans les imprévus de la vie. Pourtant, à écouter les personnes qui ont fait le passage de la misère à la liberté, des constantes apparaissent. Ce processus se tisse à partir de relations qui se renforcent : relations à soi-même, relations à l’autre plus ou moins proche, relations collectives (Maryvonne Caillaux). La pédagogie de la confiance s’enracine aussi dans l’expérience même des apôtres. Ces hommes ont été ressaisis par l’Esprit Saint : bien au-delà de leurs défaillances personnelles, ils ont appris à croire que la victoire du Christ ressuscité s’inscrivait en eux, qu’ils y participaient et qu’ils avaient mission de l’annoncer.
Le sacrement de la confirmation est inséparable de ce mouvement originel qui demeure au coeur de l’Église et de sa mission (Claude Dagens). En ce sens, la grâce de « s’aimer humblement soi-même » serait bien une grâce de la juste estime de soi. Une grâce qui se reçoit, sans même savoir qu’elle est reçue. Accepter une part d’ignorance quant aux effets de l’action ou de la relation, c’est entrer dans le paradoxe d’une compassion non sentie : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Agata Zielinski).