CHRISTIAN DE CHERGÉ, Bayard, 2009, 254 p. 18 euros.
CATÉCHÈSES MYSTAGOGI­QUES POUR AUJOURD’HUI, Préf. J.-C. Reichert. Même éditeur, 2008, 86 p., 15 euros.
 
Quelle fut la vision théologique de Christian de Chergé, prieur du monas­tère cistercien de Tibhirine, dans l’Atlas algérien, assassiné – on s’en souvient – avec six de ses frères moines en 1996 ? Déjà auteur d’un Prier 15 jours avec Christian de Chergé (Nouvelle Cité, 2006), le P. Christian Salenson, directeur de l’Institut de Science et de Théologie des Religions (ISTR) de Marseille, répond en soulignant d’emblée que son approche fut avant tout monastique, et donc plus ancrée sur l’expérience mystique que sur des constructions dogmatiques. Pour le P. de Chergé, cette expérience s’in­carne en particulier dans la rencontre de son ami Mohammed durant la guerre d’Algérie, puis de l’émir Sayah Attiyah, le chef d’une bande armée, trois ans avant la mort des frères.
Comment parler d’espérance, dans cette Algérie alors pleine de menaces, de violences, au coeur de la précarité et de la peur du lendemain ? Si Christian de Chergé réinvestit dans sa réflexion des thèmes traditionnels de la foi chré­tienne, comme le sens de l’autre, la per­ception d’un Christ qui s’élargit à tous les hommes, la communion des saints ou la Visitation, il enrichit souvent leur signification au contact des musulmans. Se méfiant beaucoup d’un dialogue avec l’Islam qui se cantonnerait à des discussions sur l’histoire et le dogme, dans un cadre de pure réciprocité, il se situe fortement dans l’esprit de Lumen Gentium : l’islam a bel et bien une place dans le dessein de Dieu. Non centrée sur les fins dernières, la dimension es­chatologique prend alors tout son sens, « dans la perspective d’une réalisation déjà accomplie du dessein du Père d’être « tout en tous » et de réunir à la table du Royaume « les hommes de toutes tribus, langues, peuples et nations ».
Tout en allant très loin dans les lieux de rencontre spirituelle avec l’Islam (partage de la vie concrète et de la prière, lectio divina du Coran, méditation sur le Jésus de l’Islam, évocation de l’exode en termes d’hégire), le P. de Chergé ne verse pas pour autant dans une « immer­sion » qui diluerait son appartenance au christianisme. Comme le remarque l’auteur en conclusion, il parvient ainsi à éviter la double tentation du relativisme et du dogmatisme, invitant ainsi à pren­dre le risque du dialogue.
Écrit avec clarté, sans fioriture, ce livre a le mérite de bien dégager les grandes intuitions du prieur de Tibhi­rine. Pour autant, cette « théologie de l’espérance » qui doit présider au dialo­gue entre les religions est-elle vraiment transposable à d’autres situations, tant elle paraît d’abord liée à une expérience bouleversante mais singulière ?
Toujours du P. Salenson, les Caté­chèses mystagogiques forment un petit livre nourrissant, utile et pédagogique, auquel on a envie de revenir pour y goû­ter plus profondément. Il s’agit de huit catéchèses pour entrer dans le mystère de la vie qui se dit et se célèbre dans la liturgie eucharistique. Ainsi, la vie de Dieu donnée en Jésus-Christ se charge de celle des hommes, la sauve, la porte à sa plénitude divine. Elle devient alors nourriture de communion et dynamis­me de paix dans et pour le monde, à la suite et à la manière de Marie, modèle des disciples.
Plus suggestive que démonstrative, cette catéchèse s’adresse directement au lecteur pour l’inviter à regarder et à mesurer la portée des gestes qu’il pose, des rites qu’il habite et de la parole qu’il prononce au long de la messe.
Un ton très juste, profond et chaleu­reux, où l’on retrouve aussi toute l’expé­rience interreligieuse de l’auteur.