Préf. B. Sesé. Trad. G. Grenet. Cerf, 2009, 204 p., 32 euros.
L’oeuvre de Jean de la Croix, en raison surtout de sa délicate articulation entre le dire poétique et la prose d’un commentaire nourri de pensée scolastique, réactive la question que pose toute théologie spirituelle : dans quelle mesure ce qui s’y énonce traduit-il, se réfère-t-il à une expérimentation de l’auteur ? Problématique occultée dans le cas sanjuanesque par les amplifications légendaires des hagiographies officielles, fables (au sens où l’entendait Michel de Certeau) qui fabriquent la figure du saint selon les normes canoniques et stéréotypes en vigueur dans l’univers baroque (par exemple, les origines aristocratiques indispensables pour faire un saint convenable, et que l’on invente donc au besoin).
Admirable est le présent essai qui entreprend de faire justice de ces fictions en privilégiant la voix des archives. Ainsi se restitue un paysage, un contexte tant culturel et religieux que social, économique et surtout institutionnel (les querelles dans l’ordre carmélitain dont Jean aura certes fait les frais, mais ici analysées avec impartialité ; plus encore, essentiels, ces réseaux où se communique, se partage et s’enrichit l’expérience spirituelle, expérience ecclésiale par conséquent), royaume du contingent, de l’inattendu, de l’imprévisible, où se poursuit la quête nuptiale, résolument soutenue par le désir d’un Dieu nocturnement insaisissable et l’embrasant infiniment d’une inextinguible flamme. En dépit de la discrétion dont Jean voulut entourer sa vie et son parcours spirituel, on repère dès lors des allusions furtives à telle ou telle péripétie qu’il aura vécue, déterminante pour cette singulière expérience que seul peut traduire l’excès poétique et dont le didactique et placide commentaire donne à tous les clefs de son mouvement.