JEAN CARON Philosophe, Centre Madeleine Daniélou, Rueil-Malmaison. Dernier article publié dans Christus : « L’attention au présent : “Donne-nous notre pain de ce jour” » (n° 191, juillet 2001).
«C’est à ces causes qu’il faut attribuer la mélancolie singulière que les habitants des contrées démocratiques font souvent voir au sein de leur abondance, et ces dégoûts de la vie qui viennent quelquefois les saisir au milieu d’une existence aisée et tranquille » 1. Dès 1840, Tocqueville, de retour des États-Unis, fait l’hypothèse de l’avènement d’un type nouveau de société, marqué par l’égalité des conditions et l’affirmation de l’individualisme, et qui conduit à la conjonction, apparemment paradoxale, d’une expérience de libération par rapport aux cadres disciplinaires des sociétés traditionnelles et d’une relation à soi marquée par la mélancolie, voire le dégoût de la vie. Et il propose de chercher les causes de ce sentiment de vide intérieur dans le caractère insatiable d’une quête centrée sur soi-même et sur la recherche des biens matériels. Agitation et mélancolie… Étonnamment, il semble bien que cette association improbable se retrouve souvent aujourd’hui, bien après Tocqueville, pour caractériser l’homme des sociétés démocratiques contemporaines, avec cette différence que les analystes de l’« hypermodernité » parlent aujourd’hui moins de mélancolie que de vide 2, de mésestime de soi, voire de « fatigue d’être soi » 3. Une telle approche de la société et des individus en termes d’estime ou de mésestime de soi, est-elle légitime ? Que révèle-t-elle de nos conduites, mais aussi de nos représentations et de nos discours ?
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