« Jean Bouche d’or a dit que le Christ n’a jamais ri. » « Notre Seigneur Jésus Christ ne raconta jamais de comédies ni de fables, mais seulement de limpides paraboles qui nous instruisent allégoriquement sur la façon de mériter le paradis. » « Il n’a pas eu besoin de tant de sottises pour nous montrer le droit chemin. Rien dans ses paraboles ne porte au rire, ou à la peur. » « Le rire est chose fort proche de la mort et de la corruption du corps. » « Le rire ébranle le corps, déforme les linéaments du visage, rend l’homme semblable au singe. » Tels sont certains des arguments brandis par Jorge de Burgos, le moine du Nom de la rose 1 , pour nier la légitimité du rire et rejeter la possibilité que Jésus ait ri. Face à lui, le franciscain Guillaume de Baskerville défend le contraire.

Imaginons que nous assistions à la discussion comme si nous y étions et que nous prenions parti pour la seconde posture. Quelles raisons alléguerions-nous ? Oserions-nous affirmer que l’humour et le rire habitaient Jésus ?

Ma réponse à cette dernière possibilité est affirmative et, dans les pages qui suivent, je tâcherai d’exposer mes arguments face aux austères et acrimonieux Jorge de Burgos encore présents dans notre Église, si semblables au personnage qui comptait des étoiles dansLe petit prince, tout en répétant : « Je suis sérieux, moi… » Tout juste peut-on leur accorder comme circonstance atténuante qu’ils ignorent que, selon unmidrash, les deux seules choses qu’Adam et Ève ont pu extraire du Jardin, ce sont le jeu et le rire et qu’ils continuent toujours à croire qu’un chérubin avec une épée de feu les empêche d’en profiter.

Au commencement, le Seigneur agit « en séparant » : la lumière de la ténèbre, les eaux d’en haut d’avec celles d’en bas, le jour de la nuit, chaque vivant selon son espèce. Nous pouvons imiter cette habitude qui lui est tellement propre à l’heure de créer et de nous approcher de l’ humour, une de ses plus belles créatures, en séparant ses éléments et en les décomposant, comme une lumière blanche, pour distinguer les « couleurs » qui la