Les événements tragiques des dernières années ont révélé la force et la fragilité du lien qui fonde une société moderne. La force des valeurs, reconnues et respectées par tous, assure la liberté de chacun et la sécurité du vivre ensemble. Mais les liens s’avèrent fragiles dès qu’on se crispe sur des valeurs religieuses au détriment des personnes ou qu’on exige pour soi un respect qu’on refuse à autrui.

Si la société ne se réfère plus à un « lien sacré » de type religieux, le respect qui la fonde n’en demeure pas moins une question essentiellement spirituelle : dans un monde aux multiples références religieuses, culturelles, éthiques, qu’est-on prêt à respecter ensemble ? Qu’est-ce qui peut aujourd’hui susciter un respect intégral, sinon l’autre, entendu à la fois comme différent, et comme cet autre que chacun est pour lui-même ? N’est-ce pas ce respect que Jésus-Christ est venu incarner et sauver, allant jusqu’au geste étonnant du « lavement des pieds » qui fait d’autrui un plus grand que soi (R. de Maindreville) ?

Entre le sentiment des uns de ne pas être respectés, et l’imposition par les autres de valeurs collectives, seule la parole échangée et débattue peut engendrer et nourrir un vrai respect, une véritable estime de soi. C’est alors une victoire sur la violence tapie en nous, toujours prête à s’enflammer à la moindre humiliation ou mise à l’écart (G. Causse). Si la crainte est naturelle, le respect, lui, se reçoit, s’apprend, s’éprouve à travers le projet collectif. Dans un apprentissage concret d’une juste liberté d’expression en vue d'une conquête sur les réactions affectives immédiates ou grégaires et d'un combat contre les peurs, désaccords ou indifférences, des exercices profanes de communication ont ici valeur d’expérience spirituelle (G. Le Cardinal). Victime de la violence nazie aux Pays-Bas, Etty Hillesum va même, de manière étonnamment paradoxale, faire du respect un critère et un rempart contre la haine collective, « poison dans nos cœurs » à l’égard du peuple allemand : « N’y aurait-il qu’un seul homme respectable… ». 

Dans l’Ancien Testament, Dieu se révèle comme Celui qui fait du respect de l’autre la base de l’Alliance et de toute loi juste entre les hommes, mais celle-ci est toujours menacée et contournée par l’égoïsme et la cupidité. C’est le respect du pauvre et de l’étranger qui est le critère de la justice et le signe de l’avenir du peuple, ce n’est pas l’invocation vaine et incessante d’un Dieu dont le nom est détourné (P. Berrached). Contre les scribes et les Pharisiens qui sacralisent la lettre de la loi pour l’interpréter au détriment de la justice, Jésus fait du respect de quiconque la première marque de l’amour, un « déjà-là » de l’humanité nouvelle, car le pardon et la conversion sont offerts à tous : ennemis, étrangers, victimes et bourreaux,… (R. Dupont-Roc). « Vous êtes le temple de l’Esprit » (1Co 3, 16-17 et 6, 19) et l’homme est l’unique sacré (C. Roucou). Cela ne va pas de soi et engage parfois un combat difficile et un discernement intérieur propre à mettre en lumière des forces obscures et peu conscientes qui agissent nos relations avec Dieu et avec les autres : tout ce qui, en nous, détourne le spirituel et le religieux de leur fin pour les manipuler à notre profit (S. Robert).
Le dialogue pratiqué avec constance et probité nourrit le respect mutuel, et permet de poursuivre une approche commune de la vérité. L’interreligieux en est certainement un lieu privilégié aujourd’hui (G. Comeau). Mais c’est dans les liens les plus fondamentaux, ceux de la famille, du voisinage, de la vie associative que se ressentent et s’instituent aujourd’hui les forces d’espérance à l’œuvre dans la société. Elles sont la garantie la plus durable et sûre contre les idéologies et les réactions de rejet ou d’exclusion toujours récurrentes (Table ronde).