Les romans de Georges Bernanos reparaissent dans la collection « la Pléiade », en deux volumes. Cette nouvelle édition est un événement parce qu’elle remet à l’honneur des œuvres littéraires d’une immense valeur, et parce qu’elle nous les présente en tenant compte des connaissances accumulées ces dernières décennies sur l’auteur et sa création. Car si les œuvres vivent, c’est non seulement par leurs qualités propres, mais aussi grâce au travail inlassable de spécialistes passionnés, qui ont consacré une part importante de leur propre existence à explorer les textes, les sonder, les éclairer. À cet égard, la Pléiade est une belle collection qui, loin d’être réservée aux «fans » ou aux acheteurs fortunés, propose au public des chefs-d’œuvre de l’esprit, accompagnés, comme c’est particulièrement le cas ici, de documents et de commentaires éclairants. Cela a un prix, mais ne sommes-nous pas prêts à payer autant ou plus pour tel ou tel bien de consommation qui, le plus souvent, ne mérite pas le nom de « bien » ?
Lire les romans de Bernanos aujourd’hui : un défi ? Dans une société où s’efface l’empreinte du christianisme, l’univers romanesque du « chrétien Bernanos », pour reprendre le titre de l’ouvrage capital que lui avait consacré Hans Urs von Balthasar, est-il encore accessible ? Bien sûr qu’il l’est, et peut-être plus encore qu’à ses contemporains. Car les romans de Bernanos, écrits entre 1926 et 1937, n’offraient pas un reflet fidèle de la société de leur temps, à la manière du roman réaliste, mais un révélateur de ses tares cachées. Miroir déformant d’un monde en crise, où le christianisme apparemment partout inscrit ne faisait plus sens. Prêtres ridicules ou imposteurs, élites corrompues, familles délitées, adolescents en perdition fuyant dans la drogue et le suicide... On comprend que les critiques catholiques de l’époque aient été décontenancés et plutôt sévères, comme nous le rappelle la notice de Sous le soleil de Satan. Ces tares cachées que le romancier mettait sous une lumière crue s’exposent au grand jour en notre temps. Le viol, le meurtre ou le suicide d’enfants, la perversité d’adultes s’acharnant à les corrompre, font la une. Nous ne serons donc pas dépaysés en lisant M. Ouine ou Nouvelle histoire de Mouchette. Est-ce une raison suffisante pour ouvrir ces volumes ? N’est-on pas saturé de violence et d’horreur ? Les romans de Bernanos, si noirs soient-ils, sont traversés par la grâce et l’espérance – certains d’entre eux en tout cas ! Journal d’un curé de campagne reste une merveilleuse ouverture à cet « autre monde » que le jeune prêtre découvre en faisant une course à mobylette. Magie du langage qui fait place, au cœur des ténèbres, à la joie pure.
Claire DAUDIN