« Mon pauvre, mon chéri, mon tout proche, mon homme épuisé ! Écris-moi tout de suite sans faute pour me dire comment tu te sens. » C’est avec ces mots qui semblent tirés du Cantique des cantiques que commence la première lettre de Valentina Lossev, emprisonnée dans un des camps du Goulag en Altaï, à son époux Alexeï, lui aussi dans un camp en Carélie. Au long de leurs deux années d’enfermement, ils se sont adressé des lettres de feu et de lumière, dialogue improbable de beauté entre deux époux qui semblent n’avoir jamais quitté le premier jour de leur amour. Ces lettres sont aussi celles de deux mystiques – deux théologiens au sens orthodoxe du terme – qui ne sont pas seulement époux, mais aussi moine et moniale car ils ont prononcé, en secret, leurs vœux monastiques en 1929, selon un projet d’union totale. Et enfin, ces lettres ont été écrites par deux grands esprits, Alexeï Lossev est mathématicien, écrivain mystique et un des plus grands philosophes russes du siècle, trop méconnu en France ; Valentina est mathématicienne et astrophysicienne. Leur correspondance reflète leur goût des êtres et des choses, leur quête de la vérité par les voies de la raison, de l’imaginaire et de la foi. Enfin, cette correspondance ne cache rien ou presque de leurs conditions de vie, des moyens de survie au Goulag, des incessantes négociations avec les autorités. Un livre intense et grandiose, parfaitement édité avec des notes judicieuses, un avant-propos inspiré de Georges Nivat, une éclairante postface de Luba Jurgenson et une préface précieuse d’Elena Takho-Godi.
Frank Damour