Arnaud du Crest Ingénieur agronome, Nantes.
A publié à L’Harmattan : Scénarios pour le travail et la formation :
la fuite des niveaux (1997) et Les difficultés du recrutement en période de chômage (2000).
Cet article est extrait d’un ouvrage collectif à paraître :
Les chrétiens et l’écologie (dir. L. Lainé), éditions du Service Formation du diocèse de Nantes.



La vie simple est portée par la nécessité de respecter les limites des ressources naturelles, par l’aspiration à la justice qui consiste à partager la condition de la majorité pauvre (mais pas misérable) de la population, par une certaine conception du bonheur. C’est souvent un choix radical, et concrètement repérable :
• D’un point de vue spirituel, il s’agit d’orienter sa vie, non pas vers la recherche des biens de ce monde, mais vers le salut, l’amour de Dieu. Il n’y a pas de norme mais plutôt un processus.
• D’un point de vue écologique, le niveau de consommation dans les pays riches est devenu incompatible avec le maintien de notre milieu naturel. Après plusieurs siècles où l’on a pu croire que le développement n’avait plus de limites, les contraintes reviennent. Nous sommes appelés à revenir à un mode de vie qui ne prélève pas plus que ce que la nature peut renouveler sur une génération.
 
La vie simple est de retour, mais avec un objectif mesurable, par exemple par la méthode de l’empreinte écologique, qui diminuerait notre impact environnemental, donc notre consommation, de moitié au moins : passer d’une empreinte actuelle de l’ordre de 4,8 ha par personne à une empreinte de 2 ha. Si l’on considère les émissions de gaz à effet de serre, l’objectif officiel au niveau national est de passer à 2 T d’équivalent CO2 d’émission par personne et par an en 2050, c’est-à-dire une division par quatre de nos émissions actuelles en France 1.
1. Voir le rapport « Planète vivante » : http://www.wwf.fr ; GFN : http://www.footprintnetwork.org ; Aurélien Boutaud (dir.)  l’empreinte écologique, La Découverte, 2009.
 
Sur quoi agir ?
On peut accepter ce constat et considérer que l’objectif reste hors de portée. Nous avons pourtant beaucoup de leviers d’action. Avant de détailler quelques-uns de ces éléments, rappelons qu’en moyenne, un Français gagne 2 041 € 2. Diviser par deux la consommation moyenne aura un impact sur le niveau de vie moyen et pas seulement sur les revenus supérieurs. Cela ne signifie pas que nous considérions qu’une personne avec un salaire de 2 000 € par mois soit riche. Elle peut, elle est souvent, en difficulté financière, compte tenu des coûts fixes comme le logement et les transports. Cela signifie que nous devons, collectivement, revoir notre organisation sociale, le mode de fixation du prix du foncier et des logements, les distances entre domicile et travail…
2. Salaire mensuel net moyen à temps plein en 2009.
 
L’alimentation
Le poste le plus important selon cette approche, c’est l’alimentation qui représente 41% de notre empreinte. Or, c’est une chance, voilà un poste sur lequel l’action de chacun d’entre nous est, directement, possible.
Analyse par poste de consommation
Composition de l’empreinte écologique moyenne d’un Français
 
41% - Alimentation
18% - Mobilité
13% - Logement
18% - Biens
7% - Services
3% - Autres
 
 
Nous consommons en moyenne, par habitant en France, 75 kg de viande 3 (dont 14 kg de bœuf, le plus gourmand en espace), 26 kg de fromages, 120 kg de fruits et légumes. Soit, par jour, respectivement, 200 g de produits carnés, 70 g de fromages et 330 g de fruits et légumes.
Nous pouvons orienter notre consommation vers des aliments moins gourmands en surface. Sans devenir végétariens, le passage de la viande rouge à la viande blanche diminue déjà considérablement notre impact. L’origine et le mode de production de l’alimentation ont aussi un impact environnemental. L’idéal serait de privilégier une alimentation locale, produite de façon biologique (rapport au sol) et éthique (rapport aux hommes). Acheter des poires bio d’Argentine en été ou des haricots verts éthiques du Sénégal en hiver pose question. Respectons les saisons ! Nous sommes constitués de ce que nous mangeons et les règles alimentaires sont une constante des religions. Les chrétiens pourraient reprendre cette tradition, appuyer, selon des modes à définir, le mouvement actuel vers une alimentation locale (ventes directes du producteur au consommateur, les marchés locaux, les contrats des grandes surfaces privilégiant l’approvisionnement de proximité) et bio.
 
La réparation
Nous changeons (en moyenne par ménage) de réfrigérateur et de machine à laver tous les dix ans, de poste de télévision tous les cinq ans, et beaucoup plus souvent de vêtements, de téléphones et autres lunettes. Réparons nos produits plutôt que de les jeter et les remplacer : les faire durer deux fois plus longtemps, par exemple, voici un objectif simple. La réparation a une forte dimension spirituelle. Faire durer nos biens, c’est respecter la création. Produire des biens qui durent longtemps, c’est respecter l’homme 4. Le producteur de produits jetables est lui-même un travailleur « jetable ». L’ouvrier professionnel, dont le savoir-faire est nécessaire au produit qu’il fabrique, est moins « jetable ». Privilégions la production de type artisanal plutôt que la production automatisée.
3. Source Insee, 2007. Les données du centre d’information des viandes sont nettement
inférieures : 42 kg de produits carnés, dont 9 kg de viande de bœuf.
4. Cf. Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, Calmann-Levy, 1994.
 
Réparer peut coûter moins cher et ne pas créer d’emploi si nous réparons nous-mêmes (nos vêtements, notre mobilier), ou aussi cher, voire plus cher, que de racheter un produit neuf si nous faisons réparer, mais en créant plus d’emplois. Mais les produits neufs coûtent moins cher qu’une réparation uniquement parce que ceux qui les produisent sont sous-payés par rapport à nous.
Certains objecteront que ces orientations risquent de détruire des emplois. C’est le contraire qui arrive. Les activités de réparation occupent plus de personnes, et plus qualifiées, que les activités de production. L’important, dès aujourd’hui, ce n’est pas d’acheter au moindre coût, de maximiser la productivité, le rapport production/ travail, qui est proprement suicidaire (il tend à réduire le travail, donc à augmenter le chômage, et à accroître l’utilisation de matières premières qui sont en voie d’épuisement) et injuste (par la pression à la baisse sur les salaires). L’important, c’est de maximiser le rendement « matière », le rapport entre la production et la matière première utilisée et de limiter notre prélèvement sur la planète, sur la création.
 
La location
La location est à la fois un moyen de faire durer les biens plus longtemps et de les partager (dans l’option de location partagée, il y a aussi la location à usage exclusif). C’est un mode qui existe depuis très longtemps pour les voitures professionnelles, maisons de vacances, matériel agricole géré sous forme de coopérative, mais dont la pratique se développe aujourd’hui pour d’autres biens : voitures à usage personnel, pneus pour les camions, photocopieurs et ordinateurs professionnels, machines à affranchir, vêtements pour les établissements de santé, etc. C’est ce qu’on nomme « l’économie de fonctionnalité » 5.. Dominique Bourg et Nicolas Buclet, « L’économie de fonctionnalité. Changer la consommation dans le sens du développement durable », Futuribles, n° 313,novembre 2005.
Les vertus de cette économie sont multiples :
1. Faire durer les biens plus longtemps, on l’a dit ; 2. Réduire, pour un même usage, l’épuisement des matières premières ; 3. Favoriser l’apprentissage à la vie en commun. Le problème est que l’achat coûte, à moyen terme et pour ceux qui ont la capacité d’investir, moins cher que la location.
 
La vie simple serait favorisée par le choix de ne pas être propriétaire mais locataire : l’intérêt financier est inverse. La question se pose de la durée d’amortissement de l’investissement locatif : si elle était plus longue (par exemple vingt ans au lieu de dix actuellement dans l’immobilier), la location serait moins coûteuse que l’achat.
D’un point de vue spirituel, on remet l’usage à la première place devant la possession. De quoi avons-nous besoin : de nous déplacer ou d’une voiture, de faire un trou ou d’une perceuse, de nous loger ou d’une maison, etc. ? L’accumulation de biens nous éloigne de l’amour de Dieu. C’est la parabole de l’homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté et qui va agrandir ses greniers pour augmenter ses stocks : « Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ? Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même au lieu de s’enrichir en vue de Dieu » (Lc 12,20-21).
 
Les déplacements
Nous parcourons 13 700 km en moyenne par personne et par an.
Nous pouvons commencer par diminuer nos déplacements et/ou prendre les transports en commun. Il ne suffit pas en effet d’éviter de prendre l’avion : un kilomètre en avion et un kilomètre pour une personne seule en voiture sont équivalents en termes d’empreinte carbone. Réfléchissons à nos prochaines vacances : découvrons la France, ou prenons le temps de voyager vraiment, pas seulement de nous déplacer.
Réduire les distances parcourues pourrait apparaître comme un retour en arrière, un manque d’ouverture. C’est pourtant un facteur essentiel. Si l’on commence par réellement acheter plus local, nous allons de fait réduire les besoins de déplacements professionnels. Il n’est plus nécessaire d’aller vérifier les conditions de travail des ouvriers des usines chinoises pour obtenir le label éthique. Pour les déplacements personnels, la suppression des lignes low cost devrait réduire fortement les déplacements en avion pour les vacances. La vitesse est un autre élément important pour notre consommation d’énergie. Réduire la vitesse des voitures sur les routes et celle des trains contribuerait fortement à la réduction des gaz à effet de serre. Donc plus besoin d’avions, au moins pour les déplacements intracontinentaux, et le débat est ouvert sur les lignes TGV : que vaut un gain de 15 à 30 mn sur un trajet de 3 heures?
D’un point de vue politique, la vitesse tue le projet – qui a besoin de temps pour se déployer –, et donc le sens du politique 6. 6. Paul Virilio, L’administration de la peur, Textuel, 2010.
La vitesse fait disparaître la confiance, qui a besoin de temps. D’un point de vue spirituel, le temps est nécessaire pour rencontrer Dieu (et les autres), et si je vais à toute vitesse, je n’en aurai pas le temps. Globalement, nous avons calculé, par exemple, qu’en réduisant notre alimentation carnée de 70% 7, nos déplacements de 50%, en réduisant de moitié la consommation de chauffage, en doublant la durée de vie des produits que nous achetons, nous pourrions arriver à une empreinte moyenne de 3 ha.
 
De la consommation à la propriété
Nous avons décrit la question de la consommation essentiellement du point de vue de l’usage des biens et services. Dans la Bible, la question des biens est abordée du point de vue de la propriété, la préoccupation des rédacteurs étant de limiter l’accumulation de biens pour préserver l’équilibre social et d’inciter à se détacher des biens pour privilégier l’amour de Dieu : « Nul serviteur ne peut aimer deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Lc 16,13).
 
Le lien entre usage et propriété
Plus on a de propriété, de patrimoine, plus on est riche et plus l’on consomme. C’est le type classique du « rentier ». Mais on peut aujourd’hui ne rien posséder en propre et consommer un maximum si l’on a un revenu, des primes et des bonus suffisants. C’est le type moderne du «flambeur». La vie simple pourrait donc être définie par un patrimoine limité et un usage limité de biens et services. L’accumulation de patrimoine est injuste (elle augmente les inégalités dans la société) et dangereuse (les inégalités fragilisent les sociétés).
 
7. Cette hypothèse a été récemment remise en cause par une étude de l’INRA. Selon
elle, il y a peu de différence d’impact carbone entre des régimes carnés et des régimes
plus végétariens, les seconds compensant la plus faible densité énergétique des
fruits et légumes par une plus grande quantité. L’important serait plus de réduire
la quantité globale d’aliment. Cf. Nicole Darmon et Louis-Georges Soler, « Impact
carbone et qualité nutritionnelle des régimes alimentaires en France », in Pour une
alimentation durable, Quae, 2011.
 
Au concile Vatican II, la position de l’Église dans ce domaine était encore ambiguë :
« Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que tous les biens doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon les règles de la justice, inséparable de la charité. […] C’est pourquoi l’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles peuvent non seulement profiter à lui, mais aussi aux autres. D’ailleurs tous les hommes ont le droit d’avoir une part suffisante des biens pour eux-mêmes et leurs familles » 8. Gaudium et spes, n° 69

Ce passage est très marqué par son époque : 1. Le présupposé de biens en quantité infinie ; 2. Le droit à la propriété privée ; 3. L’exigence de justice existentielle… Depuis, la Conférence des évêques de France a commencé à nuancer ces propos et préciser la question de la gestion des biens communs :
« L’aggravation des problèmes environnementaux […] souligne en effet l’importance vitale de biens tels que le climat, l’eau, les sols, la diversité du vivant, la qualité des paysages et du cadre de vie, qui ne peuvent être gérés que collectivement. De plus certaines ressources économiques comme l’énergie, les métaux rares ou les surfaces cultivées sont en quantité limitée et devront être équitablement partagées » 9.Grandir dans la crise, Conférence des évêques de France, 2011, p. 46.
Demeurent quelques ambiguïtés. La gestion collective signifie-t-elle la propriété collective ? Peut-on affermer la gestion de l’eau à une société privée ? Pourquoi dire que les ressources énergétiques « devront » être équitablement partagées : le présent « doivent » n’est-il pas plus conforme à la justice ? Quant aux métaux et terres rares, les conditions de leur extraction sont profondément injustes et mortelles pour ceux qui habitent dans les zones de production (la Chine essentiellement).
 
 
Les limites de la propriété privée
La terre.
La propriété de la terre n’est pas une évidence, en tout cas dans l’Ancien Testament : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25,23). Jésus lui-même relativise la notion de propriété, par exemple dans l’épisode des épis arrachés le jour du sabbat (Lc 6,1-5).
La terre qui était considérée de manière classique comme un bien commun est seulement devenue un bien appropriable, privatisable, depuis la révolution industrielle, évolution justifiée d’un point de vue théorique par Locke au XVIIe siècle. Il est important de reprendre cette question et d’examiner comment, de façon concrète, on peut limiter la propriété privée individuelle, condition sine qua non d’accès à la vie simple. Par exemple, pour les terres agricoles, la société Terre de liens achète des terres et les loue à des agriculteurs souhaitant s’installer en agriculture biologique. Les actionnaires s’engagent à ne pas demander de dividendes, au moins pendant cinq ans, et la société s’engage à ne pas revendre ces terres. C’est une sorte de collectivisation citoyenne et un lieu où l’on pourrait placer des économies.
L’ensemble des biens communs.
La terre n’est pas le seul bien commun. Beaucoup de définitions ont été tentées. Nous reprendrons ici celle de Jean-Luc Marion 10 : c’est l’ensemble de ce qui nous est donné, la terre, l’eau et l’air bien sûr, mais aussi les ressources énergétiques fossiles et le temps. Il paraît particulièrement fécond de considérer les ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz, métaux, carrières…) comme un bien commun, non privatisable, à partager entre toute l’humanité. Nous considérons alors la nature comme un donné, qui nous permet d’exister et de nous reproduire mais que nous ne devons pas exploiter au-delà de sa capacité de régénération. Nous pouvons louer la nature (au sens spirituel et matériel) mais pas la vendre. Le temps est aussi un bien commun (il nous est donné), mais il se vend sous forme de temps de travail, de force de travail. La vie simple, c’est de faire soi-même ce que l’on peut faire et de n’acheter du temps (des biens et services) qu’en fonction de ce qui est nécessaire, de manière à laisser à chacun le temps de vivre.
10. Intervention aux Semaines sociales de France, 26 novembre 2011.
 
 
Commençons par nous-mêmes
On entend bien évidemment tous ceux qui nous disent qu’il faut aussi penser aux personnes qui, dans notre pays, n’ont pas de logement salubre ni de moyen de locomotion pour chercher du travail, et à celles qui, dans d’autres pays, n’ont pas accès à l’eau ni de quoi manger tous les jours. Mais c’est en réduisant nos prélèvements sur les ressources de la planète que chacun pourra vivre correctement, pas en les augmentant. Comme le disait Gandhi : « Vivre simplement pour que simplement tous puissent vivre. » Commençons donc par nous-mêmes.
Comment ? De façon à la fois volontaire et contrainte par les règles de vie commune (lois, fiscalité, moyens de transport…). L’engagement individuel est nécessaire pour valoriser les règles collectives. Choisir de ne plus utiliser de voiture suppose un équipement suffisant en transports en commun ou une politique plus cohérente d’aménagement du territoire. Choisir d’acheter des aliments de proximité suppose de préserver les terres agricoles à proximité des villes. Réparer ses biens suppose une incitation forte à ce que les produits vendus soient réparables.
En même temps que les efforts individuels, des actions collectives qui relèvent du politique sont indispensables. C’est par la conjonction des deux que nous avancerons vers la justice. Des observations menées dans le quartier d’habitat écologique de Bedzed, près de Londres, ont montré que la diminution de l’empreinte des habitants était due pour un tiers aux infrastructures (logement, transports, gestion des déchets…) et pour deux tiers aux pratiques individuelles. La vie simple nous sera donnée par surcroît si nous concevons cette démarche comme une chance, un enrichissement personnel, et non un appauvrissement matériel. Le choix de la vie simple est nécessaire, mais ne sera possible que s’il est libre.