Fédou s.j. Théologien, Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris.
Traducteur d’Origène, il a récemment publié : Regards asiatiques sur le Christ (Desclée, 1998), La voie du Christ : genèses de la christologie dans le contexte religieux de l’Antiquité du IIe siècle au début du IVe siècle (Cerf, 2006) et L’Église des Pères : initiation à la théologie patristique (Médiasèvres, 2007).
Dernier article paru dans Christus : « Sur l’À Diognète : être dans le monde sans être du monde » (n°230, avril 2011).
Parution initiale du présent article : juin 1993.
 
N’est-il pas périlleux de soumettre à la réflexion théologique un texte qui n’est pas ordonné à une réflexion de ce type, mais qui se présente d’abord comme un « exercice spirituel » ? Ne se met-on pas en contradiction avec la visée propre de tels « exercices », qui désignent selon la première annotation « toute manière d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement, et d’autres opérations spirituelles » (Ex. sp. 2) ? Que penserions-nous en tout cas d’un retraitant qui voudrait faire ces exercices, non pas « pour se vaincre soi-même et ordonner sa vie » (21), mais pour progresser dans l’acquisition de son savoir théologique ?
 
Pourtant, du seul fait que les Exercices spirituels parlent de Dieu, ils croisent nécessairement le langage de la théologie. Cette simple considération autorise déjà l’entreprise dans laquelle nous allons nous engager. Il y faut certes deux conditions apparemment opposées : la première est que notre réflexion théologique ne prétende pas se substituer à l’expérience spirituelle (quand nous réfléchissons théologiquement sur les Exercices, ce ne sont pas les Exercices que nous faisons…) ; la seconde est que cette réflexion théologique tienne néanmoins compte de l’expérience spirituelle qui donne au texte des Exercices son véritable sens. Moyennant ces deux conditions, notre tâche devrait s’avérer légitime et même nécessaire. Nous bénéficions d’ailleurs, dans le cas de l’Ad amorem, d’une justification supplémentaire. Dans La Dialectique des Exercices spirituels, Gaston Fessard invite à se représenter Ignace « au moment où, enrichi par ses années d’université, il s’apprête à ordonner l’abondance d’une manière abstraite qui lui était à peu près totalej ment inconnue, et dont il va tirer l’“exercice” le plus spéculatif de son livret, en vue de nous initier à la contemplation la plus haute, celle de l’Être divin Un et Trine, par delà toute représentation ».
 
L’Ad amorem est donc « l’exercice le plus spéculatif » du recueil et même « le seul à vrai dire, puisque, à proprement parler, le Fondement n’en est pas un » 1. Le jugement se vérifie dans les pages suivantes à la faveur d’une analyse très rigoureuse, qui fait notamment paraître la correspondance entre les quatre points de la contemplation et les quatre Semaines des Exercices. Le P. Fessard écrit au terme de sa démonstration : « Point final de tous les Exercices, cette contemplation rassemble sous un mode nouveau, essentiellement spéculatif, la substance des divers thèmes que les quatre Semaines ont déployée en une suite historique dont la vie du Christ a formé le noyau » 2 ; et le développement sur l’Ad amorem s’ouvre de façon significative sur une confrontation entre la circularité des Exercices et la circularité du « savoir absolu » dans la philosophie de Hegel. Nous ne reprendrons pas ces analyses pour elles-mêmes, mais nous devions les mentionner dès maintenant, car, par leur insistance sur la portée « spéculative » de la Contemplation pour parvenir à l’amour, elles donnent une justification supplémentaire à notre propre étude sur les enjeux théologiques de cette contemplation.
 
Mais comment aborder cette étude ? Plusieurs chemins pourraient être ici envisagés. L’un consisterait à présenter les thèmes ou les courants de la tradition patristique et médiévale qui ont influé sur l’Ad amorem, et à préciser sur ce fond de tableau les apports spécifiques de cette contemplation. Un deuxième chemin consisterait à présenter quelques lectures théologiques de l’Ad amorem au XXe siècle, en considérant (outre le livre du P. Fessard, déjà mentionné) certains textes d’Erich Przywara, de Hugo Rahner, de Karl Rahner, de Hans Urs von Balthasar, et d’autres encore. Il y aurait un troisième chemin, qui serait de se demander comment l’Ad amorem a pu être invoqué dans le cadre des débats philosophiques et théologiques sur le rapport du temps et de l’éternité, ou sur le rapport entre création et salut, ou sur le rapport entre transcendance et immanence, ou sur la question du surnaturel, ou bien encore sur le problème de la médiation du Christ.
Toutes ces approches seraient éclairantes, et notre étude les recoupera nécessairement ici ou là. La troisième, en particulier, aurait