Les premiers chapitres de la Genèse sont lourds de considérations anthropologiques qu'il faut décrypter lentement. D'une certaine façon, et selon le principe même de l'écriture mythique, il faut remonter le fil du récit de la fin vers le commencement, non pas vers l'origine mais vers la source qui est la bénédiction divine irriguant toute vie.
Lorsque Adam et Ève sortent de l'Éden et entrent dans la vie quotidienne qui est celle de l'humanité, le lecteur a le sentiment qu'ils ont beaucoup perdu. Ou qu'ils éprouvent leur quotidien comme le résultat d'un échec et d'une lourde perte. Perte de ce qui leur était promis, perte de ce qui est à la source le projet de Dieu, « faire l'homme et la femme à son image et ressemblance » (Gn 1, 26-27). Le projet divin est vie et bénédiction ; et les humains, aujourd'hui comme hier, reçoivent ce don premier et dernier qu'ils sont en charge de mettre en œuvre, de faire fructifier.
Mais ils le vivent d'emblée comme un manque, comme ce dont ils ont été privés, car, dans leur désir de connaissance et de vie, se glissent aussitôt le soupçon et la méfiance : Dieu aurait gardé pour lui la totalité qu'il refuse de leur donner, le pouvoir de tout maîtriser et de tout s'approprier. D'ailleurs, ils sont créés dans une différence fondatrice et ils vivent cet « interdit de fusion » comme une perte par rapport à l'autre, puisqu'ils ne sont chacun qu'un côté de l'humanité. Le ressenti d'un manque voire d'une déchéance est tel que la nature elle-même leur devient hostile, que les générations s'enfantent dans la douleur, que la mort rôde comme la perte ultime. Dès que des frères sont en présence, naît aussi le sentiment d'un déficit de l'un par rapport