Il y a quelques années, j'assistais à la communion solennelle d'un de mes neveux. Les enfants étaient dans le chœur, la nef de l'église était remplie de familles et d'amis. Le tout dans un incroyable tumulte ! Le public bavardait pendant l'office, à tel point que le curé dut demander plusieurs fois le silence. Les parents et proches allaient et venaient afin de trouver les meilleurs angles pour leurs photos ou leurs films. Les jeunes communiants étaient psychologiquement dispersés, chuchotant entre eux, observant le public pour y retrouver les visages connus, au lieu d'écouter le prêtre. À un moment, un diacre fut même obligé de prendre dans ses mains la tête d'un des garçons, qui faisait des grimaces à ses amis sur les bancs, pour la tourner doucement vers le curé qui tentait de s'adresser aux jeunes. Bref, une ambiance joyeuse et sympathique, mais un manque total de recueillement. Dans ce tumulte, le prêtre proposa à chaque enfant d'« accueillir Jésus dans son cœur » : vu l'agitation qui régnait déjà dans leurs têtes, je ne suis pas sûr que ce vœu pieu ait pu être exaucé. Il y avait dans les cœurs beaucoup de joie et d'excitation à être tous ensemble, ce qui est déjà bien, mais plus guère de place pour autre chose. Ce qui manquait à cet instant, ce n'était pas la foi, ni la sincérité, ni l'envie, mais la stabilité attentionnelle, la capacité de recueillement. Car il est bien difficile de prier avec un esprit inattentif, et une âme en désordre…

Petit rappel historique

La méditation est une vieille pratique et une vieille histoire. Voilà plus de 2 500 ans, au bas mot, que les humains méditent, en Orient et en Occident. Mais cela au sein de démarches religieuses ou spirituelles… Dans les années 1960, se produit un premier mouvement vers le grand public, avec la mode de la méditation transcendantale, dont les Beatles par exemple étaient friands. Mais la démarche, quoique profane, est encore teintée de spiritualité New Age, accompagnée de quelques coups de gong et de fumées d'encens (ou d'autres substances…). Un changement plus radical a lieu dans les années 1980 aux États-Unis, lorsque Jon Kabat-Zinn, biologiste et adepte du yoga, a l'idée de génie de laïciser et de simplifier les pratiques méditatives, afin de pouvoir en faire bénéficier le plus grand nombre.

Il s'inspire donc de la pratique du Vipassana, une forme de méditation bouddhiste, pour élaborer une technique de méditation qu'il baptise Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR), soit « Réduction du stress basé sur la pleine conscience ». Kabat-Zinn codifie l'initiation à cette pratique en un protocole bref de huit séances de trois heures, dispensé sur huit semaines, permettant un enseignement progressif et adapté aux habitudes occidentales. Ce triple mouvement (laïcisation, simplification, codification) rend alors possible l'utilisation de la méditation de pleine conscience à l'hôpital ; d'où l'acronyme MBSR, puisque, au départ, le protocole fut proposé pour aider les patients à mieux affronter le stress lié à des maladies chroniques, douloureuses ou menaçantes. La MBSR est ensuite l'objet d'études de validation scientifique et, ces dernières s'avérant très favorables, se répand peu à peu dans le monde du soin. La caution médicale ainsi obtenue facilite alors sa diffusion dans des domaines comme l'éducation ou l'entreprise.

La ou les méditations ?

Le mot « méditation » est trompeur à plusieurs titres. D'abord parce que méditer est souvent perçu comme une activité intellectuelle (réfléchir profondément sur un sujet), alors que la plupart des pratiques méditatives passent aussi grandement par le corps, et la conscience du corps. Ensuite parce qu'il ne désigne pas une démarche unique, mais une multitude de pratiques : certaines consistent à focaliser son attention, d'autres au contraire à l'ouvrir largement ; parfois la pratique requiert l'immobilité, parfois le mouvement. Enfin parce qu'on associe volontiers la méditation à un ensemble de convictions religieuses, alors qu'elle peut parfaitement se vivre dans un cadre laïc.

Par ailleurs, le monde de la méditation est très vaste, et les méthodes très nombreuses. C'est pourquoi on ne devrait pas dire la mais les méditations. Cependant, quand on parle aujourd'hui de « méditation » sans plus de précision, on évoque presque toujours la pleine conscience (alors qu'il existe bien d'autres traditions : chrétiennes, Zen, Vipassana, etc.).

La pleine conscience est sans doute la plus simple de ces approches : elle consiste à se rendre présent à l'instant et, dans cet instant présent, à observer attentivement les composantes de son expérience personnelle (souffle, corps, sons, pensées). En résumé : 1) on cesse d'agir, 2) pour s'accorder un temps de retrait, de silence, de lenteur, de continuité, 3) durant lequel on va laisser se stabiliser son attention, 4) sans réagir aux stimulations externes (bruits) ou internes (pensées, émotions), 5) mais en les observant de manière attentive et détachée. Enfin, ce mouvement de l'esprit est volontaire : même si des états proches de présence apaisée à soi et au monde peuvent naître spontanément en nous (face à un feu de bois ou aux vagues de l'océan), ce que l'on nomme « méditation » relève d'exercices délibérés, prolongés et répétés ; un état autoproduit, en quelque sorte, et ne dépendant pas de circonstances environnementales favorables.

La pleine conscience consiste donc en un entraînement assez simple qui développe la stabilité attentionnelle, les capacités de régulation émotionnelle, et le discernement cognitif (moins se faire « piéger » par ses propres pensées, mieux identifier les moments où l'on abandonne l'évaluation des faits réels pour s'embarquer dans des supputations virtuelles). Il est probable que toutes les formes de méditation apportent en gros ces mêmes bénéfices, même si chacune d'entre elles possède des vertus spécifiques : la méditation zen semble à même d'aider à mieux affronter la douleur, de nombreuses méditations tibétaines accroissent les capacités de compassion et de bienveillance, etc.

Il est intéressant de noter que la méditation de pleine conscience représente sans doute la première forme de méditation « mondialisée » (comme le sont aujourd'hui nos modes de vie) : racines orientales, et codification (puis validation scientifique) occidentale. Le tout aboutissant, logiquement, à une diffusion planétaire. Mais son succès tient encore à d'autres raisons que sa simplicité d'accès, sa validité scientifique et ses racines multiculturelles…

Seulement une mode ?

La méditation ne fait pas que guérir les blessures infligées par notre histoire personnelle, présente (stress) ou passée (fragilités). Elle répare aussi celles que nous inflige l'époque. C'est pourquoi, c'est une erreur profonde de ne la voir que comme une mode (même si cette mode existe). Elle est aussi la solution à des besoins plus profonds, car elle compense de profondes carences liées à notre style de vie moderne. Un peu comme le fait l'exercice physique… Faire du sport n'avait guère de sens autrefois, car les journées de nos ancêtres impliquaient une activité physique intense et régulière : ils devaient, s'ils avaient faim, casser du bois, allumer un feu, cueillir des légumes, courir après leurs poules ; s'ils avaient soif, aller chercher l'eau au puits ou à la rivière ; s'ils voulaient voir leurs amis, marcher jusqu'au village voisin… Aujourd'hui, nos modes de vie sédentaires font que nous pouvons manger, boire, contacter nos amis sans dépenser aucune énergie physique. Cette sédentarité s'avère responsable de pathologies multiples, d'où l'activité physique régulière, recommandée aujourd'hui par l'ensemble des soignants en compensation à cette carence de mouvement liée à l'évolution de nos modes de vie.

Et l'on peut dire, sur ce modèle, que la méditation est au cerveau ce que l'activité physique est au corps : la compensation d'une carence. De plusieurs, en fait : carences de calme (nous sommes toujours exposés au bruit, à l'agitation, à des stimulations sonores ou visuelles, incessantes et agressives…), carences de lenteur (nous sommes oppressés par les injonctions à aller vite, ne pas perdre de temps, répondre rapidement aux demandes…), carences de continuité (notre stabilité attentionnelle est mise à mal par de multiples interruptions, véhiculées notamment par tous les canaux du monde digital : appels téléphoniques, SMS, courriels, tweets, etc.). Méditer, c'est s'offrir des espaces de compensation, de réparation, où l'on s'adonne au goût retrouvé du calme, de la lenteur, de la continuité. La vogue des retraites dans des monastères offre à nos contemporains les mêmes bénéfices. Mais la méditation permet d'ouvrir de tels espaces intérieurs plusieurs fois par jour, même loin de tout lieu de retraite.

Méditer pour se soigner ?

Les vertus soignantes de la méditation sont pressenties depuis longtemps : dans les fondements du bouddhisme, la libération de la souffrance est un enjeu central. En Occident, le mot « méditer » vient du latin meditari, fréquentatif de mederi, « donner des soins à ».

Chez les personnes malades, la méditation améliore systématiquement et significativement la qualité de vie : c'est le cas dans la sclérose en plaques, le cancer, le diabète, les pneumopathies obstructives, etc. On a pu aussi démontrer une régression des symptômes dans les pathologies chroniques, comme l'hypertension artérielle, le psoriasis, les maladies auto-immunes… Il est probable que la méditation est alors bénéfique par son impact sur le stress. Loin d'être négligeable, cet effet est capital car le stress est en médecine le « grand aggravateur » de toutes les pathologies. Notamment les pathologies chroniques, douloureuses, dans lesquelles l'efficacité des traitements classiques est souvent limitée. La pratique de la méditation, associée aux prises en charges académiques, entraîne alors de nombreux bénéfices au plan psychologique : on a pu montrer, par exemple, qu'elle augmentait la fréquence des ressentis émotionnels positifs, ce qui est remarquable dans la mesure où la méditation ne se rattache pas du tout au champ de la psychologie positive (on n'y cherche pas à susciter directement des émotions positives). Mais simplement prendre du recul, et se rendre présent à sa vie, semble permettre d'accroître les sentiments de bien-être et de bonheur.

La réduction du stress permise par la méditation intéresse beaucoup les chercheurs, car elle peut être étudiée à un niveau biologique, dans le cadre notamment de la discipline nommée « neuro-psycho-immunologie », qui étudie les connexions étroites et réciproques entre état psychologique et activité des systèmes nerveux et immunitaires (ce qu'on nommait autrefois la « médecine psychosomatique »). Et cela ne concerne pas que les personnes malades, mais tout un chacun. On a ainsi pu montrer que quelques semaines de pratique méditative régulière suffisaient à améliorer la réponse immunitaire après une injection de vaccin antigrippal. Mais l'impact de la méditation va encore plus loin, en modifiant l'expression génique, c'est-à-dire la manière dont nos gênes vont ou non s'exprimer (et influencer notre santé) en fonction de facteurs extérieurs. Voilà plusieurs années qu'on a démontré que notre capital génétique ne représente en rien une fatalité, puisque son influence peut être modifiée par exemple par nos émotions : le stress peut activer certains gènes, les émotions positives peuvent à l'inverse les désactiver. Une étude récente conduite à Harvard a ainsi comparé vingt sujets, méditant depuis en moyenne neuf ans, à vingt autres sujets non méditants mais de même profil sociologique. Les chercheurs ont retrouvé des différences significatives en termes d'expression génique. Chez les méditants, plus de deux mille gènes impliqués notamment dans les mécanismes de la réactivité au stress (inflammation, cortisol, mort cellulaire…) étaient désactivés, par rapport aux sujets contrôles. Puis ces derniers ont été à leur tour entraînés à méditer, et on a comparé leur profil « avant-après » : on a alors retrouvé, chez eux aussi, le même genre de modifications de l'expression génique, allant dans le sens d'un affaiblissement de l'expression des gènes liés au stress. Quel que soit notre capital génétique, la méditation (à condition tout de même d'être régulièrement pratiquée) pourrait donc limiter ou compenser certaines de nos fragilités héréditaires. Autre modification biologique de taille : l'impact de la méditation sur les télomères. Il existe en effet au bout de nos chromosomes des télomères, sortes de capuchons protecteurs qui freinent l'usure qui se produit à chacune des duplications cellulaires en jeu tout au long de notre vie. Les télomères sont sensibles au stress, qui les endommage. Ils peuvent à l'inverse être réparés par une enzyme, la télomérase. Une très importante étude, conduite sous le nom de « Projet Shamatha » par une équipe de l'Université de Californie, a montré que la méditation stimulait l'activité de la télomérase, et pouvait donc freiner le vieillissement cellulaire, et de ce fait accroître la longévité.

Méditation, spiritualité et religion

Méditer est donc bon pour la santé. Mais, depuis que nous avons introduit en 2004, à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, nos thérapies de groupe par la méditation, nous assistons de manière régulière à un phénomène étonnant : malgré un usage strictement thérapeutique et un discours rigoureusement laïque, nous voyons souvent émerger, au sein de cette pratique, des moments de spiritualité chez nos patients.

Ainsi, il est fréquent que ces derniers nous parlent de ressentis indicibles qu'ils ont pu éprouver en méditant, d'expériences profondes de fusion et d'appartenance au monde qui les entoure. De vécus d'apaisement allant au-delà de la simple suspension de leurs souffrances. De sentiments de redécouverte de leur esprit et de leur corps (car la méditation est grandement à l'écoute du corps) comme de redécouverte aussi de leur âme. Finalement, d'expériences de vie spirituelle, tout simplement ! Il y a là quelque chose de touchant bien sûr, mais aussi d'étonnant : même laïcisée, codifiée, scientificisée, instrumentalisée, mise au (noble) service de la médecine et du soin, la méditation, naturellement, revient vers ses racines spirituelles, et y ramène ses pratiquants réguliers. Après avoir été un remarquable outil qui les a aidés à surmonter leurs détresses, elle les ouvre à leur vie intérieure et à ses mystères, et devient une voie d'approche de leurs interrogations existentielles.

Comme une boussole revient toujours vers le nord, la méditation, même laïcisée, même originellement pratiquée pour s'apaiser (en termes de souffrance) ou s'enrichir (en termes de capacités mentales, de maîtrise, de lucidité), ramène toujours vers la spiritualité. La spiritualité, c'est tout simplement l'attention, le respect, l'humilité face à la vie de l'esprit, perçu comme chambre d'écho du monde, visible ou invisible, et de ses mystères : infini, éternité, absolu… Je me souviens d'avoir lu un jour cette remarque attribuée au Dalaï-lama : « Nous pouvons nous passer de thé, mais pas d'eau. Tout comme nous pouvons nous passer de religion, mais pas de vie spirituelle. » La spiritualité peut parfaitement se vivre de manière laïque. Et aussi conduire à une qualité accrue de notre foi, si nous sommes croyants…

Méditer pour mieux prier ?

Un des effets bénéfiques de la vogue actuelle pour la méditation aura été de rappeler à de nombreux chrétiens leur propre tradition méditative, très riche et ancienne. Dès les premiers siècles de notre ère, les Pères du désert ont formulé des recommandations saisissantes de modernité à propos des pratiques contemplatives. « Oraison silencieuse », « oraison de simple regard », « prière du silence intérieur »… ont ensuite décrit des démarches dans lesquelles les croyants ne s'adressent pas à Dieu, mais s'efforcent de se tenir en sa présence, dans le silence. Les débats ont été vigoureux à ce propos, comme le montra la querelle du quiétisme à la fin du XVIIsiècle.

Mais un vaste courant se lève actuellement pour remettre ces pratiques au goût du jour. Nombreux sont, parmi les prêtres et les croyants, ceux qui pensent que la méditation, sous sa forme la plus élémentaire, celle de la pleine conscience, représente un intéressant préalable à la prière. Et on voit même apparaître les premières études scientifiques sur l'impact cérébral des pratiques spirituelles chrétiennes, comme les modifications favorables observées à la suite d'une retraite ignatienne d'une semaine !

Et peut-être est-ce un bien pour notre époque de plus en plus pressée et dispersée, jusque dans sa manière de vivre la foi ? Je me souviens avoir lu un jour, dans ses Carnets, cette remarque d'Emil Cioran, qu'il attribuait au Pasteur d'Hermas : « La prière de l'homme triste n'a pas la force de monter jusqu'à Dieu. » Sans doute est-ce encore plus vrai pour la prière de l'homme distrait ou stressé…