Dans son usage courant, aujourd'hui, la « maîtrise de soi » s'identifie au self-control de la langue anglaise. Elle constitue un élément majeur de la formation professionnelle. Dans tous les domaines de l'activité, on apprend à garder la maîtrise de soi : il ne faut pas mêler les sentiments aux relations d'affaires. À tout employé en contact avec la clientèle, on indique comment garder son calme, comment se laisser agresser en continuant de sourire, comment traiter avec amabilité le client récalcitrant, grincheux ou énervé. Réputation oblige. Et c'est tant mieux si les relations de la vie courante ne sont pas toujours perturbées par les mouvements d'humeur des uns et des autres. Mais si la maîtrise de soi devait s'en tenir là, elle ne nous serait pas d'un très grand secours pour la vie spirituelle. Les pages qui suivent ont justement pour but de la faire apparaître sous un tout autre angle : comme l'ouverture à la liberté dans l'Esprit.

La maîtrise de soi dans le langage chrétien


Tout le monde garde en mémoire ces vers de Corneille, prononcés par Auguste, dans Cinna :

« Je suis maître de moi comme de l'univers, Je le suis, je veux l'être. O siècles, ô mémoire, Conservez à jamais ma dernière victoire ! Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous. »
 
Si nous pouvons introduire cette réflexion sur la maîtrise de soi par cette tirade célèbre, c'est bien parce que la maîtrise de lui-même dont s'honore Auguste est un triomphe sur les passions de la colère et de la vengeance. Le courroux de celui qui se présente comme le maître de l'univers est pourtant juste. Il pourrait sévèrement punir ceux qui l'ont lâchement trahi. Mais il estime que le pardon le fera parvenir à la véritable noblesse de l'âme, celle de la générosité, vertu si chère aux hommes et aux femmes de la première moitié du XVIIe siècle. Le volontarisme de ses propos est compensé par une ouverture du cœur à l'ennemi même qui n'est pas sans rapport avec le christianisme, bien que ce soit un païen qui la professe. Ainsi apparaît sous l'angle de la générosité la figure de l'honnête homme mise en valeur par le Grand Siècle. La