«Homme je suis et je crois que rien d’humain ne m’est étranger. » En citant Térence, Montaigne a relayé au seuil de la modernité le credo de tous les humanismes. Mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que la pensée postmoderne dénonce l’excès d’optimisme de ce credo et sa facilité à se réclamer de l’universel – notamment en sa forme rationnelle ? Dans bien des cercles de pensée contempo­rains, c’est la pluralité, autant que la radicalité, des points de vue qui désormais donne le ton ; l’évidence première n’est plus celle de la familiarité possible avec l’autre homme, mais celle de l’extranéité, dans l’éclatement des références, rationnelles et autres, à travers l’espace et le temps.
À la suite du philosophe Jean-François Lyotard, ces milieux parlent volontiers de « la fin des grands récits », ces macro-intrigues, reli­gieuses ou idéologiques, qui mettaient en perspective et rendaient intelligible l’histoire commune. En d’autres mots, l’humanisme a fait son temps : notre ère est celle de la réalité fragmentée, constituée d’« étrangetés » juxtaposées, de l’expérience morcelée du sujet et du monde dont Kafka et Pessoa ont été les prophètes littéraires.
Ou encore, et à un niveau vécu cette fois par les cercles les plus larges de nos contemporains, l’universalité est devenue celle du marché. Loin d’être une propriété fuyante, l’universel est alors le plus accessible – et le plus commun – des dénominateurs. Les médias, télévision et internet en tête, en sont devenus le « portail », pourvoyant l’« accès » à une humanité à consommer de manière immédiate, celle des images, des modes et des marques. Plus rien n’est alors au départ étranger, tout est déjà résorbé dans la plasti­que des images de l’homme projetées « en temps réel » aux quatre coins de la planète. Avec ceci toutefois : cette « universalité » donne le change, tant elle est traversée d’exclusions. Si elle conquiert des parts toujours nouvelles d’humanité, elle en