Zacharie, la première de ces figures, se tient au levant de l'Évangile de Luc. Il n'est pas encore père, sinon « en creux », dans le chagrin du manque Son désir de paternité est en souffrance — son épouse Élisabeth est stérile et tous deux sont déjà âgés. Mais soudain l'inespéré survient : un ange lui apparaît pour lui annoncer que sa longue prière a été exaucée, Élisabeth va enfanter un fils.
Sur le coup, c'est moins la joie qui l'envahit que la surprise, le doute même. Il a attendu si longtemps, en vain, que son attente a fini par béer dans le vide. Et il reçoit l'enfant de sa chair non comme un dû, une évidence, aussi tardive soit-elle, mais comme un don, une grâce. Ainsi instaure-t-il dès l'origine une distance au sein de son amour paternel ; une distance féconde où son fils pourra déployer sa liberté, accomplir son propre destin, et non pas celui que lui, le père, pourrait souhaiter lui imposer. Zacharie est d'emblée confronté à la dépossession, car invité à respecter la liberté de son fils. Cette dépossession est doublement soulignée : par le prénom choisi pour l'enfant et par le silence qui frappe Zacharie aussitôt après l'incroyable bonne nouvelle de "sa paternité.
Le nouveau-né, en effet, ne recevra pas le prénom de son père, ni celui d'un parent proche, ainsi que le voulait la tradition, mais un nom neuf, non lesté par l'histoire familiale, non « usé » par son père, et, en amont, par une cohorte d'ancêtres. Le fils, auquel est destiné le nom de Jean — Yôhânân, qui signifie « YHWH fait grâce » —, sera ainsi déposé, le jour de sa circoncision, hors du cercle de la répétition, exposé sur le seuil de son avenir. Zacharie accepte que son fils ne se réduise pas à un écho de lui-même, que sa vocation soit inédite. Pendant neuf mois et huit jours, Zacharie va être réduit au silence. Au cours de cette longue nuit vocale, le nom de Yôhânân aura le temps de se former, de prendre place et poids dans le cœur du père, et sens dans son esprit.
Jean est le fruit d'une double grossesse : l'une passée dans les entrailles de sa mère, l'autre dans le silence qui emplit la bouche de son père et tient ses pensées au secret. Ces deux gestations sont en correspondance, en mystérieuse harmonie.
Mais la « délivrance » de Zacharie advient huit jours après celle d'Élisabeth. L'enfant est né, il est là sur la terre, bien vivant, si frêle dans la splendeur de sa chair. Mais il n'est encore ni nommé ni circoncis, ces deux actes étant liés. Et durant ces jours où le nouveau-né reste « anonyme », en attente d'...
La lecture de cet article est réservée aux abonnés.