Il nous faut naître continûment, sinon le risque est de végéter. L'expulsion hors du corps maternel marque notre entrée dans le monde, et cette arrivée est un départ, riche de tous les possibles. Commence alors le long processus de notre approche du monde, de notre enfoncement dans ses méandres, ses profondeurs, de notre exploration de sa chair. Commence notre patiente traversée du temps, jour après jour scandés de nuits. Commence notre lente accession à ce monde, aux autres, à soi et à l'idée de Dieu. Commence et sans fin recommence notre ascension de la vie, notre aventure de vivant. L'assomption et le déploiement de notre humanité. Tous ces mouvements sont liés, indissolublement.

Cette aventure, nul ne peut l'accomplir seul, ni en « hors-sol » temporel, historique, culturel et spirituel. Sans la poussée (non la pesanteur) d'une mémoire, sans l'aiguillon (non urticant) d'un récit du passé, sans le partage (non imposé ni figé) d'un héritage de sens, de valeurs, notre présent ne pourrait s'épanouir, s'ouvrir à l'avenir, il flotterait et stagnerait à la fois, car privé de racines autant que d'élan.

Poussée, aiguillon et partage : le grand pourvoyeur de ce dynamisme est le langage, qu'il soit oral ou écrit,