Avec l’accélération de nos rythmes de vie, se fait jour une profonde ambivalence du repos. Nous ressentons d’abord que ni l’accumulation d’activités performantes de loisirs, ni l’inactivité désorientée et souvent ennuyeuse ne reposent vraiment, comme en témoignent aussi bien l’expérience des congés qu’une retraite non préparée ou un désœuvrement forcé. De là, nous voyons qu’un vrai repos se donne à goûter dans un rythme de vie propre à soi, où l’activité, la tranquillité, les relations se déploient dans un temps décompressé (Nathalie Sarthou-Lajus).

Vital pour le corps et l’esprit depuis la nuit des temps, le repos est pourtant bien difficile à vraiment trouver et honorer. Prendre la décision de se reposer suppose d’abord d’en reconnaître le besoin, mais il est souvent plus difficile de s’accepter fatigué que de suspendre une activité (Claude Charvet). Mais le repos se maîtrise-t-il ? Résulte-t-il de conditions appropriées ? Car, outre la fatigue liée à des facteurs extérieurs, notre psychologie entre là aussi en jeu. Des forces peuvent nous agiter ou nous troubler, d’autres nous déprimer ou nous obséder, et nous maintenir alors dans un épuisement qui appelle parfois des soins spécifiques (Laurent Yzèbe).

 
Les tout-petits nous montrent un chemin précieux, eux qui ne se relâchent vraiment que s’ils sont en sécurité et en présence de ceux qui les choient (Claire-Anne Baudin). Le vrai repos est donc celui du cœur, celui qui apaise, détend et nourrit notre affectivité profonde. On ne l’atteint qu’en se reposant sur quelqu’un, toute la tradition biblique et spirituelle en témoigne. « Je dors, mais mon cœur veille », dit le psalmiste, et Augustin le reprend dans son célèbre : « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi. » Cela n’advient pas sans travail spirituel sur soi, sans combat contre soi-même, contre notre volonté de tout maîtriser (Philippe Robert). S’arrêter, faire des pauses « attentives », à la manière de la Samaritaine avec Jésus au puits de Jacob, est indispensable à la vie spirituelle.
Mobilisant le cœur et l’affectivité plus que l’activité mentale, ces pauses reconduisent sans cesse à ce « reposer sur » qui donne accès à un vrai repos en Dieu, source de libération intérieure et de paix nouvelle (Christine Gizard). Ainsi se laisse-t-on progressivement rejoindre et habiter par l’attitude même de Jésus qui se repose sur son Père comme le Père se repose sur lui : « Je ne fais rien sans le Père… » L’Esprit devient dès lors le lieu du repos pour le Christ, d’où il tire sa liberté, son allant, sa douceur, et tout particulièrement son désir d’y introduire tout homme de bonne volonté : « Mon joug est doux et mon fardeau léger. » Sans « pierre où reposer sa tête », c’est en lui que l’Esprit repose désormais, partout où il est présent (Sylvain Cariou-Charton).
 
En célébrant chaque dimanche le mémorial de sa vie donnée pour nous, l’Église fête ce lieu privilégié du repos. Par le temps gratuit qu’il inscrit dans nos rythmes tendus, ce repos collectif du dimanche favorise non seulement la détente commune mais aussi la créativité et les liens festifs indispensables à la vie sociale (Arnaud Favart). En son temps, Madeleine Delbrêl avait souligné tout l’intérêt du repos au cœur de l’action. Aujourd’hui, bien des travailleurs ou des mères de famille craignent de donner d’eux une image négative s’ils ne se noient pas dans l’hyperactivité ; mais certains dans une vie tout aussi « surbookée » choisissent des temps de vrai repos (Katia Mikhaël).
 
La randonnée a ses contraintes sportives et la paresse est d’une passivité excessive, mais la promenade, la flânerie, font de la marche une activité sans contrainte. Le repos s’y goûte dans la contemplation de paysages ruraux ou citadins qui semblent venir à soi, et plus encore dans ce qu’ils évoquent à notre imaginaire, un repos qui s’inscrit dans des formes, une architecture, un paysage (Claude Tuduri).