En 1995, je me trouvais avec l'équipe du Service jésuite des réfugiés (JRS) parmi les réfugiés du Rwanda dans un camp en Tanzanie. Ceux qui avaient fui la guerre civile se retrouvaient démunis de tout et, pour beaucoup, résignés ou découragés, voire, pour certains, saisis par l'angoisse et la culpabilité d'avoir participé à la folie collective. Privés de leurs ressources, de leurs racines, de leur maison, de leur famille (certains avaient perdu jusqu'à vingt de leurs proches), nombreux sont ceux qui risquaient de sombrer dans le désespoir ou l'apathie, à moins que les traumatismes subis ne les enferment dans la psychose. Pourtant, au cœur de cette impasse, nous pouvions percevoir pour nombre d'entre eux une foi peu commune et une espérance que, malgré tous les signes contraires, un chemin était toujours possible. « Devant moi, tu as ouvert un passage » (Ps 31[30],9). Ce temps d'exil fut pour certains un lieu de conversion, un retour radical à l'essentiel.

Dans l'un des groupes bibliques organisés avec les étudiants, l'un d'eux me surprit et son témoignage demeure comme une clé de lecture. Alors que nous étudions l'épisode du Deutéronome (26,1-11) où l'Hébreu remercie le Seigneur de lui avoir donné la Terre promise tout en lui offrant les prémices de sa récolte et en faisant mémoire de son histoire, ce jeune déclara : « Aujourd'hui, je peux faire mienne ces paroles et dire au Seigneur : “Je te remercie de nous avoir donné cette terre où nous sommes.” Car, pendant la guerre, nous avions perdu même le sens des commandements de Dieu. Maintenant, nous sommes revenus chez nous, car nous avons retrouvé la parole de Dieu et cette Parole, pour nous chrétiens, est notre maison. » Étonnante exégèse d'un exilé ! Étonnante force de la Parole qui, ce jour-là, faisait, de la terre d'exil, la Terre promise… Mais n'est-ce pas l'expérience même qu'ont faite les Hébreux déportés en Assyrie ou à Babylone ? « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1). N'est-ce pas aussi l'expérience que font les chrétiens dans la découverte de leur salut en Jésus Christ ? Comment pouvons-nous comprendre cette condition du disciple, appelé à vivre comme Abraham de « campement en campement », ou invité à vivre l'« Église en sortie », selon les mots du pape François, solidaire de ceux qui sont déracinés ? L'accueil du migrant est lié à notre propre exode intérieur.

Les premiers chrétiens : des « résidents étrangers »

Les premières communautés chrétiennes nous instruisent sur cette condition de migrant dans la foi. Le livre des Actes des apôtres est rempli d'images de voyages, d'histoires d'invités et d'hôtes, décrivant les missionnaires itinérants et les croyants résidentiels en constante interaction. À travers cette hospitalité, l'Esprit saint suscite des échanges de dons matériels et spirituels et contribue à la croissance de l'Église comme à son extension parmi les Gentils. Et, de manière significative, au sein des premières églises, autant les prêcheurs invités (comme Paul, Timothée, Tite…) que les communautés locales d'accueil se considéraient comme des « résidents étrangers ». Dans sa première épître, Pierre écrit aux exilés des diverses communautés dispersées et les invite à l'espérance et à la sainteté, en leur rappelant qu'autrefois ils n'étaient « pas un peuple », mais qu'ils sont maintenant « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis… pour l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint » (1 P 1,1 ; 2,4-10). Il poursuit (1 P 2,11-12) : « Je vous exhorte, comme étrangers et voyageurs, à vous abstenir des désirs charnels, qui font la guerre à l'âme. Ayez au milieu des nations une belle conduite. » Membres d'une nouvelle maison spirituelle, les chrétiens sont étrangers au monde et devraient vivre d'une manière différente. Mais, loin de les déconnecter du souci du monde, ce statut les aide à être libres et actifs de manière critique au sein du monde. La Lettre à Diognète, au début du IIsiècle, déclare au sujet des chrétiens : « Ils habitent leurs cités comme des étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils supportent tout comme des voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère. » De même, la lettre aux Hébreux nous rappelle qu'Abraham et les Patriarches moururent dans la foi sans voir l'accomplissement de la promesse, « sachant qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre » (He 11,13) et que, de manière semblable, « nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l'avenir » (He 13,14). Les premiers écrits chrétiens insistent ainsi sur la condition de voyageurs des disciples du Christ, non seulement pour certains dans leur itinéraire physique de prédicateurs mais surtout sur leur condition spirituelle d'habitants temporaires, toujours en chemin vers la terre nouvelle et prêts à faire leur maison partout où Dieu les place.

Déjà, dans l'Ancien Testament, le Deutéronome indiquait cette situation particulière des habitants de la Terre promise, comme intendants d'un territoire qui ne leur appartient pas. Il s'agit, pour chaque génération, de repasser le Jourdain pour devenir digne du don reçu de Dieu et ne pas oublier qu'ils avaient été eux-mêmes étrangers et esclaves, bénéficiaires d'une libération toujours à accomplir (cf. Dt 5,3 ; 8,1 ; 11,9 ; etc.). C'est précisément cette identité étrangère qui conduit tant les israélites que les chrétiens à un « soin spécial pour les étrangers », comme le dit Justin dans son Apologie (67,6), et à montrer une attention particulière à l'hospitalité (philoxenia, « amour de l'étranger »), « car c'est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges » (He 13,2). Il n'est donc pas surprenant que l'hospitalité ait façonné la compréhension première des disciples comme « concitoyens des saints, membres de la maison de Dieu » (Ep 2,19). L'hospitalité est au cœur du statut chrétien de disciple, car lui-même est un voyageur accueilli par Dieu1. Mais c'est dans l'exemple du Christ que nous pouvons découvrir la source de cette attitude.

Le Christ, invité et hôte

La vie de Jésus est faite d'itinérance. Jésus lui-même est né dans une famille temporairement sans logis, dans une ville étrangère, et il devint un réfugié en Égypte (Mt 2,1-15). Symboliquement, Jean dans son évangile insiste sur le fait qu'il est « sorti du Père » (Jn 16,28) et que le « Verbe qui s'est fait chair » ne fut pas accueilli chez lui mais fut traité comme un étranger par le monde qui avait été créé en lui (Jn 1,10-11). Le ministère de Jésus, tel qu'il est dépeint dans les synoptiques, souligne le thème de l'errance et de l'hospitalité qui lui est liée. Jésus, qui n'a « pas de lieu où il puisse reposer sa tête » (Lc 9,58), ne cesse de « passer de village en village pour annoncer la Bonne Nouvelle » (Lc 8,1). À cette occasion, il est invité à des dîners et visite de nombreuses maisons. Mais, en mangeant et buvant « avec les publicains et les pécheurs » (Mc 2,15 ; Mt 11,18 ; Lc 19,1-10) ou en les accueillant (Lc 7,36-50 ; 15,1-2), il incarne le Royaume qu'il est venu annoncer. Un Royaume qu'il décrit comme ce qui rassemble ceux qui étaient perdus, utilisant des images de grands banquets (Mt 8,11 ; 22,1-4 ; Lc 14,16-24) ou de repas de noces (Mc 2,18-22 ; Mt 25,1-13). En accueillant les foules et en les nourrissant, il inaugure l'abondance eschatologique du banquet final (Mt 16,32-38 et parallèles). L'hospitalité qui est réservée à cet étranger de passage qu'est Jésus est l'occasion d'une manifestation privilégiée du Royaume déjà présent, « au milieu de [nous] » (Lc 17,21). Matthieu radicalise cette vérité dans le discours de Jésus sur le Jugement dernier : « Seigneur quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir ? […] Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,37.40.). Le Christ s'identifie aux petits et aux pauvres et ce que Jésus a fait dans son ministère est devenu un paradigme de l'action des chrétiens.

Parmi les nombreux épisodes qui soulignent ce double mouvement de déplacement et d'accueil que suppose l'hospitalité, la rencontre de Jésus avec Zachée est particulièrement significative (Lc 19,1-10). Selon l'exégète Brendan Byrne, l'évangile de Luc (comme les Actes) met particulièrement l'accent sur le thème de l'hospitalité et sur la conversion qu'elle suscite. Ce récit peut être lu comme le signe d'une expérience de salut. La vie et le ministère de Jésus sont une « visitation »2 de Dieu à Israël et au monde, mais cet invité apporte à ceux qui le reçoivent une expérience plus grande, l'« hospitalité de Dieu ».

Celui qui vient comme visiteur et invité devient en fait l'hôte et offre une hospitalité dans laquelle les êtres humains et, potentiellement, le monde entier peuvent devenir pleinement humains, être chez eux, et connaître le salut au fond de leur cœur.3

Regardons cette rencontre où tout est mouvement. L'histoire se déroule à Jéricho, dernière étape de la montée de Jésus vers Jérusalem, ville où va se nouer son destin. Après une dernière annonce de sa Passion et la guérison de l'aveugle sur le chemin, tandis qu'il approche de la Ville sainte, Jésus passe dans Jéricho et rencontre Zachée. Cet homme vit une double exclusion. Comme « chef des collecteurs d'impôt » et comme « homme riche », il était considéré comme un collaborateur de l'occupant romain et un exploiteur du peuple. Par ailleurs, sa petite taille, qui l'empêche de voir à travers la foule, symbolise son exclusion socioreligieuse. Mais, dans un geste aussi extravagant qu'audacieux, celui-ci dépasse son handicap physique en grimpant sur un sycomore. Comme dans l'épisode précédent de l'aveugle (et dans beaucoup d'autres, comme celui de la femme souffrant d'hémorragies, en Lc 8,40-48), une personne marginalisée rompt les conventions sociales de manière à rencontrer Jésus. Courir et grimper à un arbre ne convient pas avec l'image d'un riche homme d'affaires et correspond davantage à l'attitude d'un enfant. Mais cette audace donne à Zachée un accès à Jésus qui, en arrivant à l'endroit où il se tient, le regarde et lui demande de demeurer chez lui.

Le texte biblique dit que Jésus « leva les yeux » sur lui. Il est possible pour cet homme de petite stature que ce fut la première fois que quelqu'un le regardait ainsi. Une fois encore, ceci peut s'entendre symboliquement. Cet homme méprisé des autres (qui le regardaient de haut) est désormais vu comme un ami et un hôte par ce Jésus qui le regarde d'en bas. De plus, Jésus lui dit : « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi. » Dans l'expression « il me faut » (dei, en grec), nous reconnaissons l'expression du dessein divin qui conduit la mission de Jésus et lui donne sa direction4. Cette rencontre est significative de la mission de Jésus qui n'est pas encore pleinement révélée. En même temps, la réaction de Zachée nous rappelle les actions exemplaires d'Abraham (cf. Gn 18) quand ce dernier se mit à courir pour recevoir ses hôtes avec joie, ce que précisent nombre de textes de l'Antiquité.

Comme souvent dans l'évangile de Luc, une tierce partie est présente à la rencontre et résiste à cette nécessaire conversion du regard. Voyant cela, « tous murmuraient et disaient : "Il est allé loger chez un homme pécheur !" ». Luc insiste sur le scandale provoqué par le comportement de Jésus. Mais Zachée, « debout » (ce qui peut signifier un rétablissement de sa dignité et de sa liberté), dit à Jésus : « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres et, si j'ai extorqué quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » Jésus accepte sa déclaration et quelque chose change dans le statut de cet homme, puisque le Seigneur déclare : « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d'Abraham. » Cette déclaration solennelle, qui fait écho à la déclaration inaugurale « aujourd'hui… » faite dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,21) où Jésus avait proclamé l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe au sujet du messie, reconnaît Zachée comme un membre de la communauté du salut. Celui qui était exclu est réintégré : Jésus le conduit depuis les marges vers le centre. Le salut commence ici et maintenant, lorsque Jésus incorpore dans la communauté les exclus et ceux qui étaient perdus, les pauvres comme les riches. « Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Tel est le but de toute sa mission.

Comme dans d'autres circonstances, la réaction des auditeurs reste incertaine. Nous savons quelle sera la réponse des responsables religieux de Jérusalem. Mais quelle sera la réponse du lecteur ?

L'épisode de Zachée, tout comme celui de la femme qui a fait une onction à Jésus dans la maison de Simon, offre un parfait exemple du sens lucanien de l'hospitalité de Dieu. Zachée, un marginal en dépit de sa richesse, offre l'hospitalité à Jésus et trouve en retour l'hospitalité de Dieu, un accueil dans la communauté du salut, une restauration de sa dignité et de sa réputation. En même temps, l'échange d'hospitalité qui survient entre lui et Jésus élargit la sphère de l'hospitalité de Dieu. Il remet en cause la communauté en l'invitant à devenir plus effectivement une tête de pont du Royaume, là où ceux qui sont perdus peuvent trouver un accueil et une nouvelle vie dans l'étreinte d'un Dieu hospitalier.5

L'épisode de Zachée est un modèle de ce qui est en jeu dans l'accueil de l'hospitalité divine. Tout l'évangile de Luc, en un sens, décrit les différentes réponses humaines à cette « visitation de Dieu » à son peuple : certains se convertissent, reçoivent le visiteur divin, d'autres le rejettent. Dans un tel cadre, la pratique de l'hospitalité acquiert une nouvelle signification. La communauté des croyants, suivant son maître, reçoit la mission de sortir, de chercher, de trouver et d'accueillir les exclus au sein de la communauté. L'hospitalité est une imitatio Dei, une « imitation de Dieu », une réponse à l'accueil de Dieu à notre égard et, dans cette rencontre, la mission d'annoncer la Bonne Nouvelle est en jeu. Il en est de même dans l'eucharistie lorsque les croyants célèbrent l'hospitalité de Dieu et, tout en se considérant eux-mêmes indignes de recevoir Jésus « sous leur toit », accueillent cette grâce comme une préfiguration de l'hospitalité finale dans le Royaume. Quant à la vérité de ce sacrement, elle ne se vérifie que si la communauté est capable de mettre en pratique cette hospitalité dans le service diaconal des frères. Une fois de plus, le service des pauvres, la liturgie et l'annonce de l'Évangile ne peuvent pas être séparés6.

Jésus bousculé par la foi de l'autre

La visitation et l'accueil inconditionnel de Jésus suscitent chez ceux qu'il rencontre un mouvement de conversion, c'est-à-dire un retournement intérieur. Mais il arrive aussi que Jésus soit lui-même déplacé dans sa manière de voir ou se laisse surprendre par la foi déjà présente chez ceux qu'il trouve sur son chemin. À plusieurs occasions, il reconnaît chez ses interlocuteurs une foi déjà là que sa présence met en lumière : « Ta foi t'a sauvé ! » C'est le cas pour la femme hémorroïsse (Lc 8,48 ; Mt 9,22 ; Mc 5,34), pour la pécheresse en pleurs aux pieds de Jésus (Lc 7,50), pour l'aveugle Bartimée (Lc 18,42 ; Mc 10,52) ou encore pour des étrangers à la foi d'Israël comme le centurion romain (Mt 8,13) ou le lépreux samaritain (Lc 17,19). Particulièrement significative est la rencontre de Jésus avec la Syrophénicienne (Mc 7,24-30) que Matthieu appelle la Cananéenne (Mt 15,21-28), en référence à la terre de Canaan, terre de la conquête, souvent taxée d'idolâtrie. Remarquons d'abord que Jésus est parti dans le territoire de Tyr, c'est-à-dire hors de la Galilée, en pays païen. Or, une femme franchit les frontières d'une présumée hostilité religieuse entre elle et les Juifs pour attirer l'attention de Jésus et le supplier de guérir sa fille. Si Jésus résiste dans un premier temps – « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël », « Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens » –, il finit par lui accorder ce qu'elle veut et loue sa foi : « Ô femme, grande est ta foi ! »

Il serait possible de voir dans ce texte un reflet des débats du Ier siècle dans les communautés matthéennes à prédominance juive. L'annonce faite aux païens pouvait être difficile à entendre et devenait acceptable si on reconnaissait la primauté des Juifs. Mais une interprétation plus radicale fait remonter le débat jusqu'à Jésus lui-même. La Cananéenne bouscule Jésus dans la compréhension même de sa mission. Alors qu'il se place en premier lieu dans la continuité de l'Alliance et des prophètes d'Israël, il apprend que même une femme païenne peut avoir une grande foi et être l'objet de la faveur divine. Jésus semble changer sa façon de voir et en vient à s'ouvrir à cette foi des non-Juifs. Il se peut que cette femme permette à Jésus de mieux comprendre que sa mission n'est pas réservée à son propre peuple mais qu'elle concerne aussi les outsiders, comme elle et sa fille.

L'accueil du migrant et notre exode intérieur

Quelles leçons tirer de ce bref parcours historique et biblique ? La crise des réfugiés et des migrants que nous connaissons en Europe, et plus largement dans le monde, nous bouscule et nous renvoie au cœur de notre foi. L'exigence éthique d'accueillir ceux qui fuient les horreurs de la guerre, de la tyrannie ou de la faim n'est pas seulement un devoir moral issu d'une conception de la dignité humaine que nous pouvons partager avec beaucoup d'autres hommes. Elle nous ramène aussi à l'aventure de notre foi, au lieu même de notre identité de chrétiens : des étrangers résidents et pourtant toujours chez nous sur une terre qui est un don de Dieu ; des serviteurs accueillants parce que d'abord accueillis par l'hospitalité de Dieu, venu en Jésus Christ nous rejoindre dans notre misère. Jésus témoigne d'un Dieu hospitalier et libérateur qui nous appelle à l'accueil et au service des frères. Zachée, Bartimée, la Samaritaine et tant d'autres en ont fait l'expérience. Le Christ, en son abaissement, s'est aussi laissé instruire par les humains, et même par les païens, sur la réalité du Royaume qui se découvre dans l'accueil du différent et du pauvre. Il nous invite à notre tour à nous laisser surprendre par la foi de l'autre, par l'inattendu de la rencontre.

J'évoquais en commençant la présence auprès des réfugiés du Rwanda. En ces jours-là, notre équipe JRS a mieux saisi que la solidarité avait pour racine cette expérience unique, et en même temps banale et concrète, d'éprouver que la blessure de tout homme est aussi notre blessure. Il ne s'agit pas ici de sentimentalisme ou de générosité de surface, mais le fait de sentir cette commune humanité des hommes dans leur grandeur et leur misère qui rend à la fois proche de Dieu et des autres humains, créés à son image. La solidarité pour notre équipe ce fut d'être là, d'écouter, de tenir la main, de se laisser tenir la main, d'instruire, d'accepter d'être instruits, de rassurer, d'être mis en confiance… Dans la rencontre des réfugiés, nous avons commencé à voir la part d'exilé qui vit en nous. Ceux qui n'ont plus ni maison ni champ ni famille parfois, nous ont fait découvrir combien nous sommes des réfugiés à notre tour, sans autre garantie que la foi en ce Seigneur qui est la Résurrection et la Vie, sans autre maison que celle de sa Parole. Toute autre terre, toute autre assurance, toute autre maison disparaîtront, et y mettre sa confiance serait vain. L'essentiel réside ailleurs, dans l'amour reçu et partagé.

 
1 Pour plus de détails sur la vertu d'hospitalité, voir A. Thomasset, Les vertus sociales. Justice, solidarité, compassion, hospitalité, espérance, Lessius, 2015 (dont quelques extraits sont adaptés dans ces pages).
2 L'insistance de Luc est grande sur le fait que Dieu « a visité » son peuple : Lc 1,68 ; 1,78 ; 7,16 ; 19,44.
3 Br. Byrne, The Hospitality of God. A Reading of Luke's Gospel, The Liturgical Press, 2000, p. 4.
4 Cf. Lc 2,49 ; 4,43 ; 9,22 ; 13,33 ; 17,25 ; 22,37 ; 24,7.
5 Br. Byrne, op. cit., p. 152.
6 Cf. Benoît XVI, Deus caritas est, 2005, n° 25.