Anne Le Maître, dont les lecteurs de Christus ont découvert la belle plume dans le numéro sur « L'expérience spirituelle » (« Épiphanie », n° 276, octobre 2022, pp. 8-10), nous invite à écouter notre « si grand désir de silence ». Nous sentons la nécessité de faire une place au silence, nous en crions souvent le manque, alors pourquoi cette impossibilité d'en profiter quand il est là ? Anne Le Maître nous accompagne dans cette contradiction particulièrement frappante dans les vies actives mais, au fond, à l'œuvre en chacun. Le silence a en effet partie liée avec la mort et avec l'éternité. Au cœur du désir de silence s'exprime ainsi une recherche de Dieu. L'auteure commence par situer son propre désir de silence (qu'elle appelle son « rêve d'abbaye ») dans la tradition philosophique et religieuse de l'Occident, où l'antique supériorité de la vie contemplative sur la vie active a laissé place progressivement à la suprématie de l'homme actif et productif, figure centrale d'une « civilisation du vacarme ». L'espace dévolu à l'intériorité s'est resserré jusqu'à disparaître, attisant la soif de silence, en soi comme à l'extérieur. On ne comprend qu'un peu plus tard que ces premières considérations générales permettent de ne pas entrer brutalement dans les quelques pages, saisissantes comme une eau limpide et très fraîche, où l'auteure raconte une expérience intime et radicale du silence. Anne Le Maître se remémore le temps partagé avec son compagnon accueilli en service de soins palliatifs, jusqu'à la séparation définitive par la mort. C'est depuis ce face-à-face avec la mort prochaine de l'être aimé que rayonne l'ensemble des méditations et des autoportraits pleins de poésie ou d'humour de l'artiste au pinceau, au bâton de marche ou « à l'iPhone ». Ainsi fermons-nous le livre, non pas avec un savoir ordonné sur le silence, mais plutôt avec ces ultimes conseils qu'on reçoit, entre deux embrassades, au moment de prendre la route. Nous sommes encouragés à méditer l'exemple des grands silencieux et à ne pas désespérer de nos rechutes dans l'agitation, forts de la certitude que tous les « silences anodins, anonymes, tissent une résille invisible » autour de nous. Ils affermissent, sans que nous le sachions clairement, notre présence au monde.