Depuis quelques années, notre représentation du futur a changé, ce qui n'est pas sans conséquences sur notre manière de nous rapporter au temps. Auparavant, nous envisagions l'avenir comme le prolongement relativement paisible du présent, enrichi de quelques améliorations que permettait une technique de mieux en mieux maîtrisée. Nonobstant quelques crises ponctuelles, localisées, et sans doute inévitables, nous nous dirigions vers un état stable qu'un célèbre essayiste avait qualifié de « fin de l'Histoire ». Après la chute du Rideau de fer et la fin de la division du monde en deux camps antagonistes, nous serions entrés dans une période plus homogène, sans bouleversements spectaculaires. Comme chez les penseurs progressistes des Temps modernes, le temps devait s'écouler de manière linéaire, nous entraînant vers un futur que l'on pouvait espérer meilleur que le présent. Selon cette perspective, les « derniers temps » seraient, après les soubresauts violents de l'histoire ancienne, une sorte d'atterrissage en douceur sur la piste paisible d'une mondialisation heureuse. Après avoir traversé les grandes épreuves, rien ne pouvait plus nous arriver de tragique.
D'autres données sont venues perturber cette vision sympathique. Elles nous font prendre conscience que l'Histoire n'est pas nécessairement le déroulement indéfini d'un temps sans rupture majeure. Il y avait déjà eu l'explosion de la première bombe nucléaire sur Hiroshima le 6 août 1945. Pour les observateurs lucides d'alors, cet événement marquait l'entrée dans un autre régime temporel, celui dans lequel la fin de l'Humanité devenait une possibilité