Il y a six ans, lors d'une retraite de huit jours, dans laquelle j'étais engagée comme accompagnatrice, mon superviseur me rendit vigilante envers la disponibilité intérieure, attitude d'écoute comme celle du serviteur d'Is 50 « Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute comme un disciple » Pour cela, il me suggérait de prendre, a un rythme régulier, des temps de silence et de solitude Cette proposition me parut tout de suite juste, comme porteuse de sens et de vie, même si je ne savais pas encore comment trouver ce rythme et l'installer dans mon emploi du temps Mais des mouvements contraires vinrent me bousculer c'était un luxe de prendre ainsi du temps de mise à l'écart, étant donné mes obligations familiales et les engagements de toutes sortes Je prenais aussi conscience d'un point de vigilance une agitation, une surcharge pouvaient être un désordre et un danger, me rendant moins apte a écouter et aider les autres dans leur discernement Cette question s'est posée de nouveau, sous différentes formes et à plusieurs reprises, lors d'entretiens avec mon accompagnatrice et lors d'une retraite qui a suivi
L'année suivante, m'appuyant sur la justesse de cette proposition et me sentant intérieurement en paix avec elle, je décidai, à l'occasion de ma rencontre mensuelle avec mon accompagnatrice, d'arriver un peu avant le rendez-vous et de repartir un peu plus tard. Un temps de préparation et d'attente me devenait essentiel. De même, j'accueillais différemment la parole de l'Ecriture qu'elle me proposait : grâce au temps de silence qui suivait, il me semblait que cette Parole pouvait s'enraciner plus profondément dans ma vie. Jusqu'alors, j'avais eu le sentiment de repartir en l'emportant comme subrepticement. Or je savais que c'était une promesse de vie. Prendre le temps de rendre grâce pour ce don, de laisser la Parole retentir en moi, a été libérant : mon coeur s'ouvrait un peu plus pour permettre à la Parole de me rejoindre, d'agir dans ma vie, de s'incarner et de m'éclairer sur le sens des événements. J'ouvrais ma porte à l'amour de Dieu et découvrais que, peu à peu, un espace de silence commençait à grandir dans mon cœur.
J'ai ainsi apprivoisé mon emploi du temps et les diverses résistances à ce niveau ont eu de moins en moins de prise. Je me laissais avant tout apprivoiser dans ma relation à Dieu : j'entrais en confiance en apprenant à m'ouvrir et à recevoir à l'écoute de la Parole. Certes, j'ai connu des mouvements contradictoires, des moments de vide alternant avec des moments de plénitude. Mais, peu à peu, j'apprenais à discerner ce qui était vie, ce qui mettait le cœur au large, j'avançais vers une réponse et une rencontre, celle où Dieu m'attendait avec la tendresse et la gratuité de son amour. Je demandais la grâce de me préparer à cette rencontre, d'enlever les pierres, de creuser suffisamment profond pour laisser l'amour de Dieu me rejoindre. Ces temps de silence et de solitude, l'aide de mon accompagnatrice ont été précieux. Et ce que je vivais dans le silence, je l'emportais dans ma vie.
Ce que je découvrais irriguait peu à peu ma réalité, creusait ma soif et m'appelait à rester unie à lui dans les péripéties de ma vie quotidienne. C'est ainsi que, depuis trois ans, je passe une journée de solitude chaque mois et demi environ. Un temps de silence, d'attente, qui est une respiration dans ma vie spirituelle, un appel à m'en remettre davantage à Dieu et à m'offrir à lui, comme Marie de Béthanie qui, aux pieds de Jésus, écoutait sa Parole En même temps, je reçois le moyen, la force et la grâce d'une plus grande fidélité à ma vie quotidienne. Un chemin s'ouvre. Ma foi est davantage confiance, le Seigneur devient le roc sur lequel fonder ma vie.
Ces temps de silence, délimités à l'intérieur d'un cadre, répétés de mois en mois, relus et devenus porteurs de sens, me conduisent peu à peu à découvrir un silence intérieur et à y demeurer lors des événements quotidiens. C'est toute ma vie qui peut prendre un nouveau sens par une attention à un silence qui dit la présence d'un amour créateur. Un appel au silence intérieur peut jaillir lors d'une rencontre ou d'un événement particulier qui m'invitent à voir et à entendre autrement, à m'émerveiller, à m'arrêter pour rendre grâce dans une nouvelle disponibilité et un nouvel accord au monde. Cet appel intérieur peut aussi, tout à coup, saisir le coeur, devenir rencontre, visite il rassemble et unifie comme lorsqu'un voile se déchire et laisse apparaître une présence.
Ces temps de solitude, loin de me retirer de la vie, m'y plongent plus pleinement en m'invitant à y découvrir les traces de l'amour vivant de Dieu, et cela renouvelle mes forces, me fortifie dans la foi Je constate que le choix de cette part de silence et de solitude me rend plus attentive et présente aux autres et aux événements. Je découvre peu à peu un silence plein, un calme intérieur, un appel à une écoute et à un regard différents, qui me donnent d'accueillir la présence de Dieu dans l'instant qui est à vivre. Cette disposition du cœur, qui est elle-même une grâce à demander, plonge ses racines dans l'accueil et l'écoute de la Parole. Quand nous sommes amis du Christ, familiers de sa Parole, il y a une relation de mémoire qui s'établit. Le coeur se souvient et peut reconnaître, au milieu de bruits divers, internes et externes, un centre de silence et de paix profonde qui laisse entendre une présence. Comme accompagnatrice, ces temps de silence et de solitude ont ouvert en moi un espace de calme et développé une écoute plus attentive : « Rester au milieu, comme l'aiguille d'une balance, laisser le Créateur agir immédiatement avec sa créature et la créature avec son Créateur et Seigneur » (fie. sp. 15). Je peux mieux vivre une présence confiante et une foi plus profonde en l'oeuvre de Dieu dans la vie de l'accompagné. Ce qui m'aide à être dans cette attitude du cœur, c'est de vivre ces temps d'accompagnement comme un exercice spirituel en demandant la grâce de la disponibilité et de la remise de moi-même.
Un travail en profondeur s'opère en moi qui me donne de mieux reconnaître d'autres modes de pensée, d'autres visions du monde que les miennes, et de vivre un déplacement pour entendre ces différences comme des richesses. Une écoute attentive suppose que je sois ouverte à l'inattendu de ce qui va être présenté. Je deviens aussi plus sensible au fait que l'écoute de l'autre ne se fait pas seulement avec l'ouïe, mais aussi avec les yeux, la sensibilité, l'ensemble des facultés. J'entends mieux ce qui se dit, le relief particulier de certains mots, les liens qui apparaissent entre différents moments et, plus encore, le silence. En effet, certains silences de l'accompagné peuvent souligner un moment important, un aspect de sa vie qui cherche à se dire. Enfin, je découvre la valeur de la sobriété en parole, et, quand j'y suis fidèle, elle me donne de ne pas tomber dans les conseils ni dans la recherche de solutions, mais de garder la bonne distance dans l'écoute qui permet à l'accompagné de laisser résonner en lui ce qu'il vient de dire et de trouver lui-même le sens de ce qui est en train de naître en lui. L'écoute attentive se résume souvent à une présence discrète, comme un souffle ténu.