Christus : L'actualité ecclésiale de ces dernières années montre que ce lieu particulier qu'est le lieu de l'écoute (spirituelle ou thérapeutique) se prête aussi aux déviances. Nous faisons appel à la psychanalyste que vous êtes pour éclairer cette question à partir des moyens que donnent les outils de la psychanalyse.
Isabelle Le Bourgeois : La première chose que je voudrais dire est que je prends progressivement conscience combien les récits d'abus et d'emprise nous mettent chacun devant notre propre propension à manipuler, c'est-à-dire à prendre le pouvoir sur l'autre, à l'amener là où l'on veut, pour notre propre satisfaction ou jouissance. À certains moments, face à la fatigue physique, psychique, morale ou spirituelle que toute cette écoute si particulière peut occasionner, je me surprends intérieurement à avoir envie de dire : « Stop, maintenant, ça suffit, on passe à autre chose ! » Comme si je voulais reprendre le contrôle. En effet, ces situations génèrent quelque chose de très particulier dans l'écoute, que je n'ai pas encore complètement identifiée, mais je sens du danger. Il m'est nécessaire de travailler dessus avec d'autres psychanalystes confrontés aux mêmes questions. Le psychanalyste doit être vigilant car il a comme interlocuteur une personne en position de vulnérabilité pour qui la fiabilité de la relation est essentielle. Le piège est tout prêt à fonctionner si l'on n'y prend garde ; on tombe facilement, et beaucoup plus facilement qu'on ne le croit, dans l'emprise et l'abus.
Le risque de toute relation
Christus : Quelle est la différence entre l'abus et l'emprise ?
I. L. B. : Pour le dire rapidement, l'abus est la conséquence de l'emprise ; l'emprise est le mécanisme qui va permettre psychiquement de venir tisser sa toile pour prendre le pouvoir sur l'autre à des niveaux variés : spirituel, humain, psychologique, intellectuel, corporel… Et l'abus en est la conséquence matérialisée, si je puis dire cela de cette façon.
Christus : L'emprise est-elle le propre de toute relation asymétrique ?
I. L. B. : Oui, mais aussi le propre de toute relation humaine, ou plus exactement le risque de toute relation humaine. Dès qu'on est en relation avec quelqu'un, il y a un risque d'emprise.
Christus : Les parents n'ont-ils pas une forme d'emprise sur leurs enfants ? Ce qui n'est pas nécessairement nocif…
I. L. B. : Ils ont l'autorité, ce n'est pas la même chose.