AGATA ZIELINSKI Professeur de philosophie à la Faculté de médecine de Nancy et au Centre Sèvres à Paris, bénévole en soins palliatifs.
A publié aux PUF : Lecture de Merleau-Ponty et Levinas (2002) et Levinas : la responsabilité est sans pourquoi (2004).
Dernier article paru dans Christus : « Parier sur la vie » (n° 226HS, mai 2010).


«Il est plus facile que l’on croit de se haïr ! La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même… » Quelque chose de l’estime de soi se laisse peut-être deviner à travers cette célèbre finale du Journal d’un curé de campagne de Bernanos. Entre la haine de soi et l’orgueil, s’aimer humblement soi-même. Être l’ami de soi-même : telle est la définition de l’estime de soi que donne Paul Ricoeur com­mentant les belles pages d’Aristote sur l’amitié. Bernanos précise qu’il s’agit d’une grâce : c’est dire que cela se reçoit. Quant à l’oubli de soi, nous y reviendrons. S’estimer soi-même, s’aimer humblement, être l’ami de soi-même : question de justesse, de juste milieu entre des extrêmes. S’apprécier soi-même à sa juste valeur ; en ce sens, l’estime de soi serait synonyme d’humilité : reconnaître ce que je peux (et ne pas m’enorgueillir pour autant), ce que je ne peux pas (et ne pas me détester moi-même pour autant). L’estime de soi ne vaut que d’être ajustée : à soi, aux autres, à la réalité. Elle nous permettrait de nous situer aux confins de l’humilité et du principe de réalité. Ni impuissant, ni tout-puissant : rien que soi, vulnérable, et en cela aimable. Nul n’est condamné à désespérer de soi-même. L’estime de soi gagne à s’inscrire dans une dynamique relationnelle et pas uniquement réflexive. Elle est une manière de s’ajuster à autrui et de se recevoir de lui, et de s’ouvrir ainsi à plus vaste que soi.
 

Prendre soin de soi ?
 

L’estime de soi se dit aujourd’hui dans nombre de magazines en termes de « prendre soin de soi », s’inscrivant ainsi dans la dynamique du care, mis à la mode par les études anglo-saxonnes. Cette « capacité à prendre soin d’autrui » (Carol Gilligan) peut-elle trouver un sens appliquée à soi-même ? En effet, l’interpellation anglophone : « Take care ! » (« Prends soin de toi ! ») rappelle l’étymologie de notre « Salut ! ». Le latin salus, qui signifie santé, fait d’une salutation un souhait de bonne santé. Prendre soin de soi, est-ce s’estimer soi-même, est-ce cultiver l’estime de soi ? Qu’en est-il si l’on essaie de transposer à la relation à soi-même les différentes qualités du care que la philosophe amé­ricaine Joan Tronto met en évidence : la nécessité d’êt...

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