Je suis constitué par un triangle assez caractéristique dont les angles s'opposent : Fénelon, Claudel, Wagner. Il serait assez difficile de déterminer comment il y a une compensation entre ces trois grands génies. » Ainsi s'exprimait le P. Varillon en 1978, quelques mois avant sa mort soudaine, dans son autobiographie dialoguée avec Charles Ehlinger 1. Cette année marque le centenaire de sa naissance. Plutôt que d'esquisser un portrait de ce prince de la parole, qui a excellé dans l'art de faire accéder les publics les plus variés aux problématiques théologiques et spirituelles les plus subtiles ou les plus rébarbatives, mieux vaut sans doute ici tenter d'aller droit au coeur de sa doctrine spirituelle et, dans la mesure du possible, de son expérience personnelle du mystère de Dieu. Avare de confidences sur lui-même, dans son oeuvre publiée comme dans les rares écrits intimes conservés par les archives de la Compagnie de Jésus, il a cependant semé assez de pierres blanches pour qu'il soit possible de s'y risquer.
 

Une tension


Il faut prendre au mot François Varillon lorsqu'il évoque la tension qui l'a toujours habité, qui l'a longtemps fait souffrir et que Fénelon a contribué à éclairer et à apaiser : tension entre l'amour de l'art et de la vie, et, d'autre part, appel à la liberté spirituelle, au détachement, que ne manque pas d'entendre celui qui entre dans la démarche des Exercices spirituels de saint Ignace. Un véritable artiste vivait dans le P. Varillon. Pendant les cinq années de sa vie d'étudiant en droit et en lettres, à Lyon, avant son entrée au noviciat jésuite, il était possédé par une double passion, littéraire et musicale. Lui-même jouait admirablement du piano. Plus tard, étudiant en théologie, à Lyon-Fourvière, il se retrouvera souvent avec son condisciple Hans Urs von Balthasar pour jouer à quatre mains. Wagner était pour lui l'artiste absolu. Pendant dix ans, il s'interdira de l'écouter (« pour pouvoir accéder à Bach et à Mozart », disait-il), tant était violente l'impression que lui causait cette musique puissamment païenne, dionysiaque. Si le mot « idole » a un sens, Wagner aurait pu être l'idole de Varillon.
Littérairement, la grande mode, la grande tentation, à l'époque de la jeunesse de François Varillon, était l'esthétisme. André Gide était le maître à penser : disponibilité et non-engagement. Varillon déclarera plus tard : « l'aurais très bien pu glisser vers une "littératuraillerie", en en faisant même mon métier » (littératuraillerie : un joli mot-valise !). Il restera