Publiée à la fin du XVIIe siècle, la Doctrine spirituelle du P. Louis Lallemant, « monument de marbre, chef-d’oeuvre serein » (Michel de Certeau), domine la tradition spirituelle jésuite. Elle a été, et demeure, le grand classique de la spiritualité ignatienne, référence des jésuites pendant leur Troisième An de noviciat 1. Henri Bremond a consacré un volume entier de son Histoire littéraire du sentiment religieux au P. Lallemant et à son « école » 2. Depuis le renouveau des études sur les textes fondateurs des jésuites, la Doctrine témoigne surtout de la manière dont un grand spirituel formulait, sous Louis XIII, l’expérience mystique ignatienne. Au siècle de Corneille, de Port-Royal et de La Rochefoucauld, le « moralisme mystique » de Lallemant présente la vie spirituelle dans les termes et les schèmes de son époque, imprégnée d’augustinisme.
L’ombre portée de saint Augustin, qu’avait invoqué Luther, s’étend sur tout le XVIIe siècle. « Notre coeur est sans repos, avait écrit Augustin, tant qu’il ne repose en toi. » L’analyse du « coeur », la traque acharnée de l’« amour propre » 3 identifié à la « concupiscence » et maître des « puissances trompeuses » dans le jeu des apparences et de la réalité : autant de thèmes typiquement augustiniens et qui se retrouvent spontanément, au temps du baroque, sous la plume de Lallemant. C’est par eux que se transmet une expérience spirituelle qui s’était formulée, au siècle précédent, en un autre contexte et en d’autres langues (espagnol et latin).
L’effet d’« inculturation » est particulièrement sensible lorsqu’il s’agit de présenter ce que la tradition appelle le « combat spirituel ». Les motifs majeurs de la mystique ignatienne (notamment la recherche de la volonté de Dieu par le