Bayard, collection « Christus – Spiritualité et politique », 2010, 144 p., 15 euros.

Dans la collection « Spiritualité et politique », le titre et le sujet intriguent. Que vient faire un rappel à l’obéissance dans notre société affranchie ? Réduire l’humanité à un jardin d’enfants dociles et sans pensée : le vieux rêve du Grand Inquisiteur dans la légende de Dostoïevski, celui des totali­tarismes qui ont illustré le XXe siècle, ne pointerait-il pas sournoisement à l’horizon de ce livre ?
Dès les premières pages, on se rassure : non, l’auteur, philosophe de pro­fession et ancien rédacteur en chef adjoint de la revue Études, n’invite pas au décervelage, au contraire. L’obéissance dont il est ici question constitue le meilleur antidote aux conformismes et aux naïvetés, à commencer par celle de croire que la liberté va de soi. La liberté s’apprend, en effet, et c’est paradoxalement par l’obéissance qu’elle s’apprend. Classique, mais menée d’une plume alerte par une mère de famille qui sait de quoi elle parle, l’analyse suit le petit d’homme dans son chemin vers l’autonomie, jusqu’à ce qu’il puisse devenir à son tour un adulte, une « autorité », c’est-à-dire quelqu’un qui aide d’autres à grandir, comme le suggère l’étymologie. C’est sans nostalgie de l’ordre ancien ni des verts paradis que l’auteur évoque le bonheur de son propre enfance, le temps où l’obéissance était légère, allait de soi. « Obéir, c’était la possibilité de jouer tranquillement, l’esprit libre. » La fermeté des adultes autorisait à considérer la vie comme un jeu, où l’on va d’émerveillement en émerveillement. Un jeu sérieux, où la vie s’enseigne elle-même : belles pages sur l’apprentissage, celui de la lecture en particulier, comme découverte du réel par l’obéissance au réel, comme formation à l’esprit critique.
Où sont aujourd’hui les adultes assez sûrs d’eux-mêmes pour formu­ler les bons interdits et les injonctions constructives ? « Le monde est indéchiffrable pour les grands eux-mêmes : comment y inviteraient-ils les petits ? » La question n’est pas nouvelle. Nous n’avons pas fini de méditer les leçons de l’Histoire sur les dévoiements possibles de l’autorité lorsqu’elle devient dictatoriale ; ceux de l’obéissance lorsqu’elle devient démission. Les tyrannies, aujourd’hui, ont des visages nouveaux : tyrannie du plaisir, de la technique, du consumérisme, des conformismes. La transgression fascine d’autant plus qu’on s’attache à la déculpabiliser. À l’esprit de soumission, l’auteur oppose le caractère inéluctable des conflits, les bienfaits de l’af­frontement, de l’esprit de résistance, dans le respect. Capital, le respect : c’est sur lui que s’achève le beau chapitre « La fierté du sujet ».
Où est la « spiritualité » dans ces considérations nourries de pédagogie, de sociologie, de philosophie politique et de bon sens ? Mais partout ! C’est le mérite de cette méditation que de faire respirer l’Évangile là même où il n’est pas cité. Il affleure constamment, il est la logique souterraine de la pensée avant d’apparaître pour lui-même dans les derniers chapitres. L’obéissance est d’abord affaire d’humilité, c’est-à-dire de capacité d’écoute. Dans « obéir » (obouïr), il y a d’abord « écouter ». Écouter la Parole. Le Serviteur peut alors se manifester comme celui qui a accepté de se laisser « ouvrir l’oreille » (Is 50,5). Trois jardins, dès lors, jalonnent le monde de la foi : celui de l’Éden, jardin de « désobéissance », celui des Oliviers, où Jésus a fait confiance au Père et celui du matin de Pâques, où Jésus apparaît à Marie-Madeleine comme le jardinier de la vraie vie. En tout, il a obéi à la voix secrète qui lui parlait au coeur. Jésus, à la différence d’Adam, a fait confiance à la parole de Dieu. On peut lui faire confiance.