Trad. F. Vermorel.
Lessius, coll. « Au singulier », 2006, 260 p., 22 euros.


Les parentés entre la spiritualité orientale et les Exercices de saint Ignace ont souvent été soulignées, par exemple en ce qui concerne le discernement des esprits. Mais c’est la première fois, sans doute, qu’une étude complète de la question nous est offerte par un spécialiste reconnu. Le P. Tomas Spidlik, jésuite, et aujourd’hui cardinal, a enseigné à Rome la théologie spirituelle, patristique et orientale. Ses ouvrages font référence. Dans deux écrits ici rassemblés et traduits de façon très lisible, il aborde, étape par étape, la démarche des Exercices spirituels et met en lumière les points de convergence avec la spiritualité orientale. La seconde partie présente le « starets » Ignace, maître spirituel, comme une figure exemplaire de la paternité spirituelle dans la pratique de l’accompagnement spirituel.
L’intérêt de l’ouvrage, de lecture facile pour celui qui connaît les Exercices, est de nous proposer une vision binoculaire du texte d’Ignace, une vision en relief qui accentue et souligne les articulations du parcours spirituel en manifestant la grande unité de la spiritualité chrétienne, non sans marquer les différences théologiques des « deux poumons » de l’Église du Christ, l’un de l’Orient et l’autre de l’Occident. Ainsi, ce qui peut nous paraître relever de la culture chevaleresque d’Ignace, dans les méditations du Règne et des Deux Étendards, était déjà bien connu de l’ancienne tradition monastique. Maints rapprochements (entre l’imitation de Jésus Christ et la « Vie en Christ » d’un Nicolas Cabasilas ; entre la composition de lieu et l’icône ; entre le troisième degré d’humilité et la folie en Christ, ou sur les manières de prier) précisent et enrichissent la compréhension du texte.
Ignace, ainsi que l’Orient, part de l’homme : « L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu Notre Seigneur. » La création n’est pas une « production » mécanique, mais un appel, une Parole adressée à l’être humain. « De la réponse de celui-ci dépend l’existence des autres êtres. » De même, d’un côté comme de l’autre, l’Incarnation de Dieu dans l’histoire des hommes est centrale.
Au long du livre, les spirituels orientaux d’autrefois autant que les modernes sont convoqués de façon suggestive pour éclairer le parcours. Quant à la deuxième partie, elle apporte aux accompagnateurs spirituels de précieux développements sur le discernement, l’éducation à la prière, le sens de l’obéissance.
Une seule remarque — occasionnée sans doute par un lapsus du traducteur — concerne une affirmation sur l’indifférence ignatienne comparée à l’apatheia orientale : « Ignace suppose que l’idéal de l’apatheia ne saurait être atteint sans le dur labeur de toute une vie. » Il comporte la purification du coeur, la pratique des vertus, le discernement et surtout la plénitude de la charité qui, « remplissant totalement le coeur, ne laisse aucune place aux affections humaines ». Sans doute faut-il lire : « aux affections humaines désordonnées », car la grâce ne détruit pas la nature, mais elle la purifie et l’élève à sa vocation divine d’image de Dieu.