Le souffle du Seigneur viendra sur toi et il te couvrira de son ombre » (Le 1,35), est-il annoncé à Marie. Et sa terre en sera merveilleusement fécondée. Le Créateur deviendra l'enfant de la Femme : « Qu'il me soit fait selon ta parole. » En effet, Marie est le signe incommensurable et condensé que Dieu prend au sérieux la collaboration humaine. Elle est cette Femme, partenaire de Dieu, à qui elle offre l'espace de son « oui », de sa chair, de sa vie pour l'expression temporelle de sa plénitude « de grâce et de vérité » (Jn 1,14). Dieu est en elle livré aux hommes.

Un chemin


Parcourir l'Evangile pour se mettre à l'écoute de la Parole, c'est emprunter le chemin que Dieu lui-même a choisi : Marie. L'emprunter à notte tour, c'est notte plus fiable garantie d'être accordés à la manière de Dieu. Certes, seul Jésus pouvait ouvrir le del aux hommes, mais Marie seule a ouvert notte terre à Dieu, a offert une brèche par où le Souffle pouvait pénétrer dédsivement la création, a tissé de sa chair un coeur d'homme qui pouvait être large coupe absolument. La porte de l'histoire du salut en Jésus Christ est cette femme (Ga 4,4).
Quand les temps sont pleins, elle est la réponse de la terre qui, de ce fait est en marche vers la ttansfiguration. Terre transfigurée dont Marie est déjà le visage Tout être humain trouve alors dans la figure de Marie le secret de sa condition et de son appel. Il s'agit de renaître ; il s'agit, par l'Esprit créateur, de laisser prendre corps au Christ et à son Evangile dans nos propres existences et dans le monde.
Les fausses images du Christ inspirées par des idéologies peuvent se passer de Marie. Mais il y a alors danger que le Christ n'ait pas pris notte humanité, que Dieu ne soit plus humain, que notte monde et nous-mêmes manquions de chair et manquions de souffle. Seul l'Esprit qui a cru en Marie peut nous « consacrer dans la vérité » du Christ et peut, avec elle parier pour l'incarnation. Mais Marie ne se mettra pas au-dessus de Jésus : elle est pour lui, elle est la servante (Le 1,26s). Son service se fera dans la vie de tous les jours, dans une foi qui ne cesse de s'approfondir.
Si le Verbe s'est fait chair, c'est pour que, par la foi, tous connaissent le nom du Père et que « l'amour dont le Père a aimé le Fils soit en eux et lui en eux ». Jésus incamé est pour toujours l'oeuvre de l'Esprit avec Marie. La lente confection et révélation de son corps, commencée en Marie se poursuit tout au long de l'histoire, par la force venue d'en haut. Inguérissablement en quête de Celui que nous avons trouvé, nous le cherchons encore en oeuvrant au rassemblement et à la manifestation de son corps. Le corps eucharistique et le corps que se construit le Ressusdté dans notte monde ne sont pas séparables du corps de l'Homme-Dieu né de Marie. L'Esprit est Celui qui permet au Fils de prendre corps. Entrer dans les réalités qui sont le tissu de notte histoire, parce que c'est en elles et par elles que le Verbe advient et devient, est un impératif pour un coeur livré à l'Esprit. La Pentecôte sur Marie, pure disponibilité au service de l'oeuvre de Dieu, a précédé l'impossible : l'Incarnation de Dieu. N'en est-il pas fondèrement ainsi pour toute oeuvre d'incarnation ? Est attendue de nous, par vocation, une disponibilité active qui « autorise » tous les possibles à naître.
En empruntant le chemin de Marie, Dieu a manifesté un Esprit qui a l'audace d'entrer dans le charnel, le concret. Sans elle nous ne serions pas aussi humains que Dieu. La communication du Christ, l'avènement du Christ aujourd'hui s'accompagnent inséparablement d'une mémoire mariale.
L'Evangile nous révèle une connivence, celle du signe « primordial » de Cana avec les noces de la Croix, signe suprême. Dieu est venu mêler sa noce à celle des hommes et il les gratifie de ses coutumes excessives : l'abondance, l'allégresse, le vin somptueux des grands jours, qui évoquent la prodigalité des dons messianiques qu'il donnera quand l'Heure sera venue. A l'Heure de l'Esprit livré, de l'eau et du sang coulant généreusement. A Cana, Marie croit avant tout signe et sa foi va littéralement propulser son fils vers la manifestation de sa gloire. Elle n'aura que ces seuls mots à léguer aux hommes : « Quoi qu'il vous dise, faites-le » C'est un appel à une foi inconditionnelle. Notons que le signe implique le concours des serviteurs : le Christ a besoin de leurs mains, de leurs jarres, de leur coeur livré. Cela revient à dire, d'une autte manière qu'il y a en Marie un lien impossible à rompre entre l'Esprit, la foi et le service. « Ils n'ont pas de vin. » A sa prière et à son appel, l'Esprit coulera surabondant du corps de son Enfant, et ceux qui renaîtront d'en haut et par la foi seront tellement nouveaux qu'ils seront ivres de toute la nouveauté de Dieu.
Jésus s'est heurté au péché de « ceux qui n'ont pas cru en lui », il se heurte à nos refus de croire de « naîtte d'en haut », de venir à Lui pour avoir la vie, mais c'est de sa croix que jaillira l'Esprit d'amour capable de briser nos refus. L'Esprit est pour toujours lié au corps de Jésus, au corps que lui a donné Marie, au corps de Jésus crucifié-glorifié. L'Esprit et le Corps ! Ces deux dons promis par Jésus en Jean : « le pain que moi, je donnerai » (6,51), « le Paradet que je vous enverrai » (15,26), sont nôtres grâce à cette Heure.

Une demeure


Alors, devant une telle assurance de bonheur (« Heureux qui écoute la Parole... »), comment ne pas décider, avec amour, de « prendre Marie chez nous » (cf. Jn 19,27) ? Dans notre maison, au centre de tout ce qui nous fait vivre, dans notte mission. Marie à demeure dans nos vies personnelles, familiales, communautaires et apostoliques, pour que le Verbe prenne encore chair et soit communiqué, pour que l'Esprit de Jésus Christ anime toute l'existence. Marie est ce milieu où s'opère toujours au présent le don de l'Esprit, l'expérience d'enfantement de soi-même et des autres à la vie de Jésus Christ. Dieu et l'homme naissent ensemble de la terre mariale.
Ecouter jusqu'au bout la parole d'un autte au point de se laisser atteindre réellement, d'échanger sa foi et d'engendrer une parole neuve qui prend corps dans l'existence n'est-ce pas vivre l'obéissance de la foi ? Si c'est cela, obéir, c'est vraiment consentir à êtte vulnérable : c'est se laisser toucher, atteindre par la parole d'un autte. Si on s'est laissé atteindre, parfois là où l'on s'y attendait le moins, c'est que l'on a été capable de croire à la parole entendue en même temps qu'on a été sensible à la foi qui nous était faite ; en échange, on donne sa foi et on la donne en acte. Tout le passage de Le 8,4-21 sur la semence est éloquent à ce sujet. Les versets 16 à 18 sont la condusion de tout le discours, avec la pointe : « Faites donc attention à la manière dont vous écoutez. » L'application faite à Marie dans les deux versets suivants dit bien tout le sens suggéré par le symbolisme de la semence. Marie est bienheureuse parce qu'elle a enfanté dans l'obéissance de la foi et qu'elle continue de vivre l'écoute plénière de l'attitude croyante : après avoir enfanté, elle reste accueillante à la parole qui l'a fécondée et qu'elle féconde à son tour. A partir de la parole entendue, laisser naîtte en nous la parole qui fait de notte existence une parole nouvelle.
Comme Marie, au service d'une oeuvre qui nous dépasse, nous voulons êtte tout écoute Pour donner corps à une parole nouvelle à partir de la parole qui nous a fécondés, pour donner à notte coeur, à nos gestes et à nos pas la souplesse d'un corps accordé à la Parole Nous tendons à être tout écoute de l'Esprit et de ses incursions imprévisibles à travers les médiations, celle des textes évangéliques, celle du monde et de l'autre, des autres.
Marie a porté son « oui » à travers tout, et tout de sa vie a été le déploiement de cette oeuvre unique : la conception de son Fils. Sa vie inscrit au quotidien la fidélité dans « l'accomplissement jusqu'au bout » de cette oeuvre, à travers toutes sortes de situations. Sa vie est le déploiement de cette foi première (« qu'il me soit fait selon ta parole ») : croire à la force de Dieu dans la faiblesse, à la vie plus forte que la mort, à la moisson dans le grain qui meurt.
Prendre Marie avec nous, c'est demeurer avec elle, c'est faire symboliser événements et paroles, gestes et promesses, « dans son coeur » (cf. Le 2,19.51) et s'ouvrir, disponible à l'« à-venir » de Dieu, à l'éternelle jouvence de l'Esprit. Marie c'est l'héritage et la nouveauté. Une expérience spirituelle qui a ce terreau se trouve alors fortement marquée je crois, par l'attente et l'attention, par la sensibilité à ce qui naît, par l'humilité de Dieu, par la sollidtude envers le germe enfoui en terre, parce qu'enfoui et parce que germe. Livrés à l'Esprit pour être enfin nés de Dieu, nous pouvons nous abandonner à ce désir profond qui habite le Père et le Fils et qui veut, en nous, faire édater nos limites, faire surgir du neuf. Notte propension à êtte tournés « vers nous » est sollicitée à se retourner « vers Dieu » d'un coeur libre. Tel est inflexiblement le Fils. Telle est Marie depuis toujours et pour toujours.
Conviés à « demeurer dans la ville jusqu'à ce qu'ils soient revêtus de la force d'en haut » (Le 24,49), les disciples de Jésus reçoivent le don d'être assodés à son oeuvre, dont il trace lui-même la trajectoire universelle à même la trame d'une vie quotidienne et « mondaine » : « Vous allez recevoir une force... Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux confins de la terre » (Ac 1,8). L'ampleur du salut entraîne l'ampleur de la mission.

Le temps du Cénacle


Dernier mystère du Christ visible parmi nous, l'Ascension est le « retour au Père », dont parle à tant de reprises l'évangile de Jean. Jésus conduit les siens jusqu'à ce mystère et les confie, offerts et livrés, à l'Esprit qui fera d'eux ses témoins. Après l'Ascension s'ouvre ce temps où le Christ peut faire édater sa présence par-delà toutes les limites de l'espace et du temps. Ceux et celles qui se retrouveront dans la chambre haute sont appelés par lui à s'ouvrir à l'Esprit qui « descendra sur eux » et inaugure sa nouvelle présence au monde. La chambre haute — le Cénade 1 — est lieu de la Présence dans l'absence Qui engage un croire. Croire en un Dieu libre et gracieux qui vient en dehors du registre de nos représentations et de nos intérêts, un Dieu que nous ne pouvons que recevoir. Croire au monde comme un mystère d'amour de Dieu pour l'homme
Comme tous ceux qui « d'un même coeur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1,14), attendre l'Esprit. Appeler l'Esprit sur l'Eglise et le monde, s'attendre à l'Esprit, c'est ouvrir une brèche en soi-même et dans le monde pour que le dynamisme du Christ continue de s'exercer. C'est avouer — et en vivre — que ce monde à venir, nous l'attendons d'un Autre ; que tout ce à quoi nous travaillons, nous l'attendons comme une grâce.
L'attente priante, et tout orientée vers Celui qui vient, de la communauté rassemblée dans la chambre haute est l'ouverture du coeur de qui « croit que rien n'est impossible à Dieu ». Qui sait pouvoir s'attendre à de.. l'Inattendu, parce que le vent souffle où il veut et qu'il en est ainsi pour qui est né de l'Esprit. La présence de la mère de Jésus en ce lieu atteste que l'Esprit qui vient « d'ailleurs », cette fois encore, va proférer le Souffle des renouveaux, des renaissances. Naître de Dieu, c'est être livré à l'Esprit.
Demeurer avec Marie c'est encore êtte rendu capable par l'Esprit, de faire des choix, aujourd'hui, qui vont dans « le sens du Christ ». Avec Lui, nous sommes capables de « discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable ce qui est parfait » (Rm 12,2). Demeurer avec Marie c'est demeurer à l'ombre de l'Esprit et laisser, comme elle, son « onction » nous instruire de tout (1 Jn 2,20.27), nous pénétrer de cette intuition spirituelle qui fait sentir ce qui est accordé à l'esprit du Christ, tant dans les attitudes et les comportements que dans les pensées et les paroles. Faire mémoire des paroles et des gestes de Jésus, c'est communier à son Esprit, c'est comme Marie se laisser entraîner par Lui dans ce nouveau qui déjà paraît ; c'est se laisser enseigner la reconnaissance du Christ qui devient et servir son épiphanie et son avènement en ce monde.
Dans ce temps ouvert en cette chambre haute où le corps du Ressusdté doit prendre sa dimension universelle Marie est là. Elle est là pour que la Parole encore se fasse chair, pour que le Souffle fasse des vivants. Dans ce temps, toujours actuel, où il s'agit de laisser le Christ et son Evangile prendre corps dans nos propres existences, l'Esprit créateur susdté l'état mariai comme capadté de faire mûrir la vie. Marie de chair et Marie d'Esprit : grâce à elle l'homme peut devenir aussi humain que possible, à l'image de Celui qui est né d'elle Void l'Homme Elle est là. Et Dieu voit que cda est ttès bon. L'Esprit ne peut pas ne pas venir. L'Esprit ne peut pas, cette fois encore et sans fin, ne pas faire que le Verbe soit proféré, le Christ communiqué. Et Marie au milieu des apôtres est l'attestation que ce qui s'est accompli en elle va se prolonger dans ce corps de Jésus que sont les croyants.
L'attente qui structure la communauté de la chambre haute vient d'une certitude : l'Esprit sera répandu. Le rassemblement au Cénade ne prend sens que par cette foi en la descente de l'Esprit. S'il est des heures dans la vie où il est malaisé de croire que l'Esprit sera donné, Marie au Cénade nous presse de croire, d'être sûrs de la promesse du Père et, par conséquent du don du Père L'attente déjà nous féconde.
Le « faire-mémoire » de Jésus et de ses paroles, de ses actes et de ses promesses, atteste qu'on ne découvre pas la dimension universelle du Christ en le déradnant de l'histoire mais en désirant vivre de son Esprit, l'Esprit du Ressusdté qui nous livre au feu et au vent de l'inattendu de Dieu, de sa gratuité et de sa nouveauté. De souvenir en avenir. Du donné à l'inattendu.

Un passage


L'Esprit qui vient sur la communauté rassemblée avec Marie marque encore l'établissement dans le temps et dans l'espace de tous les dons de l'Incarnation. Il prend ce qui est de Jésus et nous le donne à connaître pleinement ; Il est le témoin du Fils, sa mémoire permanente dans le monde (Jn 14,16.26 ; 16,7.13-15). Sans Marie, la connaissance même du Christ risque de n'être que pure spéculation. Mais, en Marie elle devient expérience.
Entre le divin et l'humain, entre l'invisible et le visible, entre l'Esprit et le corps, il peut y avoir tension. Marie fait l'option de croire qu'il ne peut pas y avoir de contradiction. Elle symbolise les paroles de l'Ange et la naissance à Bethléem, la distance énigmatique que son Enfant affiche à Jérusalem et la douce et déconcertante quotidienneté de Nazareth, la marche pressée de l'Evangile dans les villes et les villages et la croix, l'exubérance du Vivant de Pâques, et ces hommes et ces femmes autour d'elle qui sont le corps de son Bien-Aimé. La « forme » mariale de nos existences exige ce même caractère inconditionné de l'amour envers l'humanité du Christ, en dépit de tous ses conditionnements. Le Verbe s'est fait chair, obéissant, serviteur, crucifié, corps avec nous tous dans l'Eglise
Ce mystère du Cénade, qu'exprime Ac 1,1-14, est un des mystères les plus dynamiques pour la vie avec le Christ. Il demeure d'une actualité que rien ne dénie. Pour que soit partout connu et glorifié le nom de Jésus Christ, son milieu vital est cette Femme qui, après l'ascension de son Fils, continue d'accompagner les hommes dans leur itinéraire d'accueil et de reconnaissance du Vivant. Il ouvre sur la vie avec le Christ du Règne « rentré dans la gloire de son Père » par l'Ascension. Il ouvre sur la tâche d'aimer et d'orienter le monde, et chacun, mis en marche vers Dieu par le Christ ; il ouvre sur la tâche de faire avec goût et obstination, corps dans l'Esprit.
Le monde vit de la surabondance d'un Amour, de l'énergie créatrice de l'Esprit. Et l'Esprit de Dieu vit dans notte monde, l'habite et le ttavaille y est enfoui et y resplendit. L'attendre le chercher, se disposer à son action est le comportement adapté. C'est un coup d'audace et de foi que de croire et de chercher, de vouloir trouver le Tout-Autre dans ce monde où II demeure et appelle
Désirer d'un grand désir la grâce d'être toujours animé de l'Esprit de Jésus Christ exprime, avec autant de discrétion que d'amplitude, cette manière de voir, d'aimer Dieu, d'être à l'affût de sa Présence de le trouver. Et le trouver en tous ces lieux qu'il éveille, c'est nécessairement l'y contempler, l'aimer, le servir. Ce mystère est un mystère évangélique où Marie en son êtte même, est attente, tension, passage. Elle est pâque entre l'accueil du Christ dans l'histoire et l'accueil du Don promis par le Père et par Jésus.

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Dans cette optique pour aimer davantage et servir mieux, courage et humour seront donnés pour commencer par d'humbles gestes, d'humbles choses. Comme Marie. Elle récapitule en sa personne tous les rescapés de la foi et ses explorateurs, ceux qui, justement, sont le reste, et le commencement. Au milieu de tant d'épaisseurs de non-sens parfois, faire fond, dans la nudité et dans l'audace, sur le Consolateur promis. Etre aujourd'hui, dans notre pauvreté, collaboration éblouie de l'oeuvre de Jésus, cela n'appelle-t-il pas de vivre avec Marie jusque-là ?



1. Pendant des siècles, le même mot latin « cenaculum » (cénacle) a recouvert aussi bien la « pièce du haut » que la « chambre haute » • salle de réunion, salle à manger, gîte d'étape, heu pour se refaire.