Qu'est-ce qui unit Jean de la Croix, Pierre Teilhard de Chardin, saint Silouane de l'Athos et Maurice Zundel ? Aux yeux de Charlotte Jousseaume qui en propose ici une évocation littéraire, ces quatre figures nous font découvrir de l'intérieur ce qu'est la mystique chrétienne dans son terreau charnel, au rebours d'une démarche intellectuelle : « Elle est une chair à chair. Une rencontre entre l'Homme et le Christ. Entre l'Homme et le Vivant » (p. 12). Il s'agit alors pour elle de pénétrer l'intimité de la prière de ces témoins mais aussi de leur alliance avec la vie et l'univers. Autre point commun, ces hommes de prière sont également « des compagnons de nuit, des phares dans la nuit ». Ils ont dû à un moment traverser les ténèbres et la déréliction, cette obscurité d'où peut jaillir la lumière.

Alors, sur ces quatre mystiques, Charlotte Jousseaume compose et imagine à travers des scènes suggestives. Nous voici dans la prison de Tolède avec Jean de la Croix, au rythme de la cloche, de la soif et de l'abandon, et jusqu'aux mouches qui bourdonnent autour de lui. Pourtant, remarque l'auteure, « Jean ne s'est pas noyé dans la nuit mais, en faisant un avec la nuit obscure, en vivant de la vie de Dieu et de ses frères, il a été ramené sur le rivage plus mort que vif, mais bien vivant » (p. 37). Nous voici dans le désert de Chine avec Teilhard de Chardin, au cœur de l'expérience de cette Messe sur le monde célébrée « au milieu de nulle part, là où le Corps et le Sang du Christ ne sont que pierres, grains de sable et poussière » (p. 53). Et puis le frère Silouane en son jardin, sur la sainte montagne de l'Athos en proie au vent, à la nature et relisant sa propre histoire spirituelle : « Il voyait l'enfer, il vivait en enfer, mais celui-ci n'avait plus de prise sur lui. » Enfin, nous achevons notre parcours au Caire avec Maurice Zundel, traumatisé, comme tant d'autres, par la catastrophe nucléaire de Nagasaki et de Hiroshima, pris d'une forte compassion pour les victimes au point de les rejoindre par les larmes et la prière et de se plonger même dans la physique pour comprendre l'enjeu de la scission de l'atome.

Si l'imaginaire littéraire travaille ici incontestablement à travers ces quatre évocations successives, si le lien établi entre l'expérience personnelle et le Vivant correspond bien à l'air du temps, au final, on reste malgré tout sur sa faim. Comment de telles démarches peuvent-elles rejoindre davantage les chrétiens d'aujourd'hui ? Comment comprendre mieux cette relation entre présence du Christ et présence à l'Univers ? Enfin, selon le langage musical, un quatuor ne se contente pas de juxtaposer les voix des instruments mais s'applique aussi à les faire dialoguer entre elles, à se répondre mutuellement. Cette dimension de mise en perspective manque largement ici.