Entre 1773, date à laquelle est proclamé le bref de suppression de la Compagnie de Jésus, et 1814, quand est promulguée la bulle de son rétablissement, à peine quarante ans se sont écoulés. Mais ces années comptent double, si l’on peut dire : fin de l’Ancien Régime, Révolution française, guerres napoléoniennes et enfin congrès de Vienne qui, en 1814, donne à l’Europe des frontières et des régimes politiques nouveaux, même sous l’habit ancien des monarchies…
Cependant, ces deux dates dessinent également un trompe-l’œil : les suppressions ont commencé bien avant la décision du pape Clément XIV. Quant au rétablissement, il a été précédé de multiples entreprises, dès les premières années qui ont suivi la suppression. Retraçons les grands moments de ces événements afin d’essayer de comprendre ce qui s’est passé.
Les causes de la suppression
Des griefs nombreux et variés…
Le bref de suppression, décrété par Clément XIV, rassemblait tous les chefs d’accusation portés de longue date envers les jésuites.Depuis sa fondation, la Compagnie s’était rendue active, bon gré mal gré, dans différentes polémiques. En théologie, contre les protestants, les jansénistes et dans la querelle de la grâce. Dans la vie religieuse, elle était perçue comme un ordre nouveau qui semblait faire concurrence à des ordres plus anciens, notamment dans les luttes d’influence pour se partager les territoires de mission des Indes et des Amériques. Avec les réductions du Paraguay ou la querelle des rites chinois, les disputes s’intensifièrent. Les oppositions politiques étaient nombreuses. On craignait l’influence des confesseurs des rois : la Compagnie apparaissait comme l’alliée des monarchies absolues et se fit des ennemis dans l’aristocratie catholique européenne, où elle comptait pourtant de nombreux soutiens. À la fin du XVIIIe siècle, ses détracteurs s’allièrent avec ceux qui souhaitaient se débarrasser de l’Église. Au sein de la Compagnie, les dissensions ne manquaient pas : quelle place accorder à la mystique ou à la science nouvelle ? Des savants jésuites participaient à l’entreprise des Lumières, alors même que bon nombre d’esprits du XVIIIe siècle ne se privaient pas de se moquer de la Compagnie, tout en pillant ses travaux d’astronomie, de géographie, ou d’anthropologie – domaine tout neuf encore auquel l’observation missionnaire avait habitué les jésuites. Au XVIIIe siècle, la Compagnie était sur tous les terrains. Elle pouvait servir de cible à tout un chacun.
La fin proclamée des jésuites
Cette nervosité autour de la Compagnie, et en son sein, ne suffit cependant pas à rendre compte...
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