Je ne poserai pas initialement la question de ce que peut bien être l'« éternité » qui nous est promise, ni même de savoir si elle existe. C'est, comme on sait, une affaire où beaucoup de chrétiens ne nagent pas dans l'évidence, c'est le moins qu'on puisse dire ; et je n'en méconnais certes pas l'importance. Mais je voudrais faire porter d'abord la question sur l'autre terme du « repos éternel », à savoir : le repos. Que faut-il entendre par là ? Et pourquoi est-ce le « don » qu'il faut tant implorer pour les morts – c'est-à-dire aussi bien pour nous-mêmes quand nous y passerons ?
On peut s'étonner en effet que ce qui est présenté comme l'accomplissement ultime, éternel, de la vie humaine soit précisément le repos. « Comment ? dit l'objecteur. C'est là tout le bonheur auquel tend l'espérance ? Les grandes vacances infinies ! Et encore : Les vacances peuvent être actives et animées. Mais “repos” évoque le farniente, la chaise longue, le temps vide, les convalescences. (“Il lui faut beaucoup de repos.”) En somme, le repos ressemble à la mort. C'est une espérance pour gens fatigués. » Encore un peu, et on cite Nietzsche, toujours utile dans ces cas-là.
Mais enfin, ce « repos éternel » n'est pas venu par hasard. Il doit bien avoir des raisons. Voici quelques-unes de celles qu'on peut invoquer.
1. La vie d'autrefois était très dure pour la grande masse des humains : labeur et peine, la vallée de larmes. On conçoit que, dans un tel contexte, on puisse imaginer l'« après la mort » comme le repos – poser enfin le fardeau de cette vie de travail, de faim, de maladie, de deuils, de frustrations et de contraintes de toutes espèces. (De là à voir, dans la religion, l'« opium du peuple »...)
2. Autrefois encore, le travail n'était pas du tout une « valeur » – précisément à cause de tout ce qu'il représentait de dureté, de fatigue, d'écrasement. Travail « servile », travail d'esclave. Pour Aristote, la vie bonne est la vie de l'homme « libre » (non esclave), riche, qui peut consacrer son loisir aux activités supérieures de l'esprit, et particulièrement à la theoria, la connaissance intellectuelle. La vie la meilleure est celle du philosophe, occupé à penser, et qui n'encombre pas sa vie des tâches viles. Dans La République, c'est la dernière classe d'hommes (après les philosophes et les guerriers) qui s'occupe des tâches matérielles.
3. Enfin, l'idéal antique