La question que posent les rapports de la psychologie avec la vie spirituelle (et avec la « spiritualité » qui s'efforce d'éclairer cette vie) est de toute évidence vaste et difficile. Est-il même possible, dans les limites d'un article, de l'aborder en son ensemble ? On peut en discuter. Il est certain, en tout cas, qu'il faudra s'y borner à présenter la question, à tâcher de l'éclaircir ; et, là même, on n'ira que jusqu'au seuil des débats les plus décisifs. Pourtant, même ainsi limité, le propos n'est peut-être pas vain. Une vue d'ensemble, si schématique qu'elle soit, peut servir à débrouiller quelques confusions ou faux problèmes.

La question n'est pas neuve

Psychologie et spiritualité : disons, d'une part, que ce n'est pas un problème neuf. On ne voit pas très bien comment l'on pourrait vivre la vie spirituelle autrement qu'en homme, et donc avec un psychisme humain. C'est pourquoi les auteurs qui en traitent ont toujours été de quelque façon psychologues, même si leur psychologie demeurait implicite et reprenait tout bonnement l'idée qu'à leur époque, on se faisait de l'homme. Mais, bien souvent, et surtout les plus grands, ont été psychologues de façon beaucoup plus originale. Cela se comprend aisément.

D'autre part, avec le souci de classification et d'analyse des temps modernes, avec aussi le développement de l'humanisme et l'importance accordée au sujet, la psychologie a déjà pris une certaine autonomie dans la spiritualité même (et la morale). Certains « développements » communs sur l'habitude, par exemple, ou l'exercice de la volonté paraissent relever d'une simple psychologie, intégrée à une démarche spirituelle. D'où l'importance pour le chrétien, et plus encore pour ceux qui ont « charge d'âmes », d'être « bons psychologues ». Qu'on songe, à cet égard, à la gravité naguère reconnue du « manque de jugement » chez un séminariste !

Du même coup, paraissent aussi les périls : le premier, que nous venons d'évoquer, est ce manque de psychologie qui fera confondre, par exemple, la fatigue avec la paresse, ou enfoncer les scrupuleux dans leurs scrupules, ou méconnaître les lois de toute saine formation, etc. Mais il y en a un autre, qui est le « psychologisme ». Ce peut être simplement, dans la pratique, un intérêt excessif accordé aux états d'âme ou la conviction « pélagienne », « naturaliste », que la vie chrétienne est affaire d'exercice et de volonté, plutôt que de grâce libératrice. (La « passivité » dont parlent les mystiques me paraît être, entre autres, purification de cette prétention ; et le même Jean de la Croix, qui dit l'âme passive dans la nuit, dit aussi, au même moment, que l'âme y est enfin sevrée et qu'il faut apprendre à y marcher soi-même, et seul ! Rien d'un éloge de l'infantilisme !)

Le psychologisme peut aussi devenir théorie, pensée, interprétation. Là joue l'influence de la pensée moderne, le recul de la métaphysique, l'affirmation du moi. Le psychologisme est alors une forme de l'immanentisme, la plus facile d'ailleurs, la plus élémentaire (à côté de celles, beaucoup plus subtiles et épurées, de la philosophie proprement idéaliste). Ce psychologisme soutient, par exemple, que l'essentiel de la religion est dans le sentiment religieux, dans l'élévation intime