Misère de la langue française : nous n'avons qu'un mot, « homme », pour désigner à la fois l'être humain en général et le viril, le masculin. D'où la plaisanterie connue : « N'oublions pas que la moitié des hommes sont des femmes. » Plaisanterie sérieuse, si j'ose dire. Car il arrive qu'en fait on l'oublie, cette vérité si élémentaire. Bien des discours « sur l'homme », lus d'un peu près, sont écrits au masculin. Et il n'y a pas que les discours ! C'est devenu un lieu commun, au moins dans bien des milieux, de dénoncer le caractère excessivement masculin de la vie sociale, de la morale, du pouvoir, etc.

Il ne s'agit donc pas d'un débat « sublime », où le concept grandiose de l'Éternel féminin brillerait au ciel des grandes idées. Il ne s'agit pas d'une « exaltation » de la femme – la mère, l'épouse, voire l'amante –, la Femme à majuscule, que beaucoup de femmes dénoncent au contraire comme un fantasme typiquement masculin. C'est affaire très concrète.

Qu'on songe un peu, par exemple, à ce qu'est l'emploi du temps de la femme ordinaire, dans nos pays dits développés. On constatera que la conception reçue du travail, de la production, considère comme rien, non seulement le « travail ménager », mais tout ce non-mesurable qui fait que des enfants, par exemple, trouvent en leur mère ce qui leur est nécessaire. « Sans profession » : exaspération des mères de famille, à qui l'on colle ce qualificatif tout négatif ! En revanche, « rester à la maison », dans les joyeux HLM de banlieue et les formes présentes de vie sociale (ou d'absence de vie sociale), est-ce une vie ?

Fantasme de l'homme, condamnée à se voir elle-même selon des images masculines – y compris la triste « femme-objet » –, « force de travail » classée comme deuxième choix, et donc sous-payée, méconnue dans ses fonctions propres, etc., la femme en a, selon une expression classique de la philosophie contemporaine, « ras-le-bol ».

L'homme est homme ou femme

Donc, « reconnaître aux femmes le droit d'être femmes » ? Voilà une formule encore bien masculine, pas très lointaine du « penchons-nous sur les pauvres » qui avoue si clairement qu'on est, soi-même, riche. Et qui suggère que les hommes, eux, n'ont point de problème de ce genre. Comme si l'homme (le masculin !) était tout à fait bien dans sa peau, complet, achevé, quelle que soit la situation de la femme. Il faut donc la répéter, cette vérité si simple qu'elle en paraît d'abord un peu ridicule : l'être humain réel, c'est l'homme et la femme.

Et l'on s'aperçoit, alors, que la conséquence risque d'aller assez loin, car, en somme, tout ce qui est humain est marqué de ce rapport, d'un sexe à l'autre, qu'on ne peut négliger ou omettre sans déjà déformer ce dont on parle. S'il s'agit, par exemple, de notre condition, de la vie commune, de la connaissance, de la prière, etc., en faisant comme si cette différence n'existait pas, ou restait insignifiante, on risque de rester dans une abstraction éloignée de l'homme réel ; ou, en fait, d'en rester à un discours masculin qui, pour « l'homme » même, est un piège.

Or, ce discours-là a été, dans une très large mesure, celui de la philosophie occidentale. Assez bien installé pour que certains (et certaines !) en dénoncent la permanence chez Freud lui-même qui, pourtant, n'a pas peu fait pour que soit reconnue l'importance de la sexualité. Et, je l'ai dit, le discours reflète ou ordonne la pratique.

Le grand accusé

D'où vient cette méconnaissance ? Que signifie au juste et où nous mène qu'elle soit aujourd'hui si vivement mise en cause ? D'où vient la méconnaissance ? Le grand accusé, aux yeux de beaucoup, c'est le christianisme ; la grande accusée, c'est l'Église. Pourquoi ? À cause de sa morale ?

De fait, c'est encore un lieu commun que de