Que devient la communauté de Taizé depuis la mort violente de frère Roger, son fondateur, le 17 août 2005 ? Le petit livre d'entretiens du journaliste Marco Roncalli, le petit-neveu du pape Jean XXIII, avec l'actuel prieur de Taizé, frère Alois, offre un regard sur « Taizé aujourd'hui ». Chemin faisant, quelques éléments biographiques situent rapidement la personnalité rayonnante de cet allemand catholique, fils d'exilés des Sudètes, qui a été choisi très jeune par frère Roger pour lui succéder. On y découvre un homme d'expérience, très simple, humble et discret. Animé de fortes convictions, il ménage des pauses et des temps de silence pour mieux peser des réponses sans détours.

La mission de « partager la foi avec les nouvelles générations » reste une actualité toujours urgente pour la communauté de Taizé à travers les rencontres organisées sur place comme sur tous les continents et, de même, le souci de « faire naître de nouvelles solidarités ». Mais, de façon hardie, frère Alois s'efforce aussi de relancer en des termes neufs la recherche de la réconciliation des chrétiens, persuadé, comme l'était frère Roger, que l'unité des Églises devrait être un ferment d'unité du genre humain.

Poursuivant et intensifiant les démarches auprès des responsables des Églises historiques tandis que se multiplient sur tous les continents de nouvelles communautés – le mot « secte » n'est jamais prononcé – qui, chacune à sa manière, se réclament du Christ, frère Alois n'hésite pas à proposer : « Si tous les chrétiens forment une nouvelle famille, la chose la plus normale n'est-elle pas d'habiter sous un même toit, même sans attendre que toutes les difficultés soient résolues ? » Par cette suggestion, le prieur de Taizé nous oblige à casser notre accoutumance à cet état de fait de notre héritage chrétien : nous sommes divisés. Certes, on ne s'entre-tue plus, mais un parallélisme bienveillant ou indifférent s'est instauré. Le scandale demeure.

Naguère, frère Roger aimait à répéter : « Il faut faire quelque chose. » Aujourd'hui, commentant l'Évangile, frère François semble déployer cet impératif : « Quand il est question de la présence du Royaume, le temps ne nous appartient plus. Le monde tel qu'il est ne peut plus imposer ses lois parce qu'un monde nouveau frappe à la porte. […] Autour de Jésus, le temps presse. L'urgence est inhérente à un appel en vue du Royaume. »

Ces propos, ainsi que ceux de frère Alois, résonnent comme une forte invitation à revisiter maintenant cette Dynamique du provisoire dont le fondateur de Taizé fit le titre d'un de ses livres les plus fameux. Alors qu'il avait été tiré à environ quarante mille exemplaires entre 1965 et 1977, frère Roger n'avait plus voulu, depuis les années 1980, qu'on en fasse de nouveaux tirages pas plus que de ses autres livres anciens d'ailleurs. Heureusement, depuis 2011, la communauté de Taizé a entrepris de donner au public l'accès à l'ensemble des écrits de frère Roger, en présentant les livres épuisés et en y adjoignant des articles ou d'autres textes contemporains et même quelques inédits accompagnés de courtes notices historiques très précieuses.

Partageant ses perplexités à l'occasion (voir l'inédit « Où allons-nous ? »), frère Roger se fait insistant quand il s'adresse « à deux catholiques en opposition » à la fin du concile Vatican II et qu'il rappelle la vocation à l'unité de l'Église : « Catholiques, vous portez un nom qui vous engage ! »

Dans l'incertitude de l'avenir, le « provisoire » selon frère Roger n'a rien d'un refus d'engagement dans la durée. Au contraire, c'est plutôt le refus de l'immobilisme et la ferme volonté d'aller de l'avant, même à tâtons, comme un appel à faire confiance à l'élan de la vie, un « oui » par avance aux imprévus et aux adaptations qui seront nécessaires. Audace à laquelle rend témoignage le petit livre très personnel du frère dominicain Claudio Monge à travers l'évocation de son propre cheminement.

Rien de plus revigorant que ces textes exigeants qui gardent une grande actualité !