« Personne n'a jamais vu Dieu » (Jn 1,18). Quel paradoxe et quel mystère que celui de la foi en un Dieu révélé et caché… dans la société spectacle qui est la nôtre et son besoin exacerbé de tout vouloir voir…
Le « vere tu es Deus absconditus » (Is 45,15), « Tu es vraiment un Dieu qui te cache », est la vérité centrale de la Révélation pour Pascal. Dieu est l'Autre. S'il se communique dans l'amour, il se révèle comme caché, voilé. Le désert est le lieu aride privilégié de l'expérience monacale. Le Dieu des présences d'absence dont parle douloureusement la béguine flamande, Hadewijch d'Anvers :
Comme cette théologie poétique du XIIIe siècle me touche ! Comme si la Présence nous fuyait et que l'Absence nous cherchait, nous appelant d'un au-delà silencieux…
L'épreuve du manque est paradoxalement une grâce purifiante de toute possession, et laisse en quelque sorte ouvertes les cicatrices de l'étreinte. Se tenir « en sa présence dans l'amour » (Éphésiens) et en même temps en son « absence ardente » (selon l'expression de Rainer Maria Rilke3).
Présence certaine, quoique invisible. L'épreuve face à celui qui vient incognito, ce que nous saisissons du Dieu insaisissable, c'est le désir qu'il éveille en nous, telle une distance de l'intimité…
Je pense aussi à cet « apophatisme affectif » qu'était la prière pour Michel de Certeau. Empreinte en creux, absence qui creuse… (« Il me frôle sans que je le connaisse » ; Jb 9,11). Dieu caché, plutôt, pour nous protéger de l'idolâtrie et de la captation. Croire, c'est ne pas voir, dans la quête mendiante, non encore dans la vision.
Le poème orant naît d'une nostalgie de la présence éprouvée dans le régime de l'absence habitée, désirée, mendiée…
Dans la vie monastique où tout, intérieurement et extérieurement, est centré sur la présence de Dieu, l'épreuve consiste à porter le poids de son absence. Expérimenter cela est positif, car c'est percevoir sa transcendance.
Nous disons trop facilement qu'il est bon et doux de louer le Seigneur et d'habiter son intériorité, sans reconnaître assez l'inquiétude et la souffrance qu'implique ce bonheur.
Dieu se révèle en se cachant. Cette lueur nous permet d'avancer pas à pas (mot à mot dans le poème) dans l'obscurité de nos existences.