Cette biographie rédigée par l'historien Étienne Fouilloux retrace le parcours de Marie-Dominique Chenu. L'itinéraire de cette grande figure dominicaine oscille entre condamnations et moments de reconnaissance, sans que jamais l'ombre des condamnations ne s'estompe vraiment jusqu'au moment de ses funérailles où, enfin, un véritable hommage lui est rendu.

Par sa manière très forte et originale de penser l'histoire et la théologie, Chenu donna une impulsion magnifique au Saulchoir, centre de formation des jeunes dominicains d'abord exilé en Belgique puis réinstallé en Île-de-France. Il y connaît vingt années intenses de travail académique, de recherche en histoire et en théologie médiévale, il offre une contribution unique à la manière de penser la formation des jeunes dominicains. Mais, brusquement, c'est la chute avec sa première condamnation par les instances romaines en 1942. Il quitte alors le Saulchoir pour le XIIIarrondissement de Paris où il s'engage dans l'accompagnement de la mission ouvrière en pleine Guerre froide. Mais c'est à nouveau une condamnation en 1954. Il se voit envoyé à Rouen. Il y reste de longues années dans une vie retirée qu'il met à profit pour écrire ses principaux textes. Ce n'est qu'à la troisième session du concile Vatican II qu'il vit une sorte de réhabilitation en étant appelé comme expert et peut contribuer à ce moment qu'il perçoit comme central pour l'Église du XXe siècle. Malgré ce parcours très éprouvé, le dominicain a laissé une empreinte décisive sur l'Église contemporaine. Il est bon de garder en mémoire que nous lui devons, pour une grande part, la théologie des signes des temps et qu'il a profondément imprimé sa marque dans le texte de Gaudium et spes. « Vivant, le père Chenu demeurait suspect et infréquentable dans bien des cercles catholiques ; mort, il est soudain paré de toutes les qualités qu'on lui refusait auparavant : grand théologien et pilier de l'Église conciliaire. La solennité de ses funérailles et le concert de louanges qui les entoure valent pleine réhabilitation au religieux deux fois condamné », conclut Étienne Fouilloux (p. 262).

De ce livre, on retiendra en particulier l'éclairant chapitre où Fouilloux détaille les péripéties qui conduisent à la mise à l'Index de la brochure Une école de théologie, le Saulchoir, rédigée en 1937. On découvre au gré des pages que Thomas Philippe a été envoyé comme visiteur apostolique au Saulchoir pour mener une enquête canonique que l'on peut qualifier de « règlement de comptes » entre deux manières de faire de la théologie, celle de Rome et celle du Saulchoir. Au début de cette année 2023, alors que le rapport de la commission de l'Arche vient d'être publié (le 30 janvier), on peut lire dans le journal La Croix (1er février) que Thomas Philippe a été protégé par les instances romaines et la curie dominicaine, entre autres, pour poursuivre ses travaux contre la nouvelle théologie. C'est effarant.

Cette biographie aide à percevoir les limites qui grèvent la hiérarchie de l'Église catholique romaine, sa manière idéologisée de considérer les travaux de certains théologiens en avance sur leur temps, sa façon d'abuser parfois de son pouvoir.