Cerf, coll. « Littérature », 2010, 264 p., 24 euros.
 
Le titre ne manquera pas de faire sursauter plus d’un proustien fervent : va-t-on maintenant convertir l’oncle Marcel ? On peut se rassurer. Spécialiste de la mystique flamande (Hadewijch, Ruusbroec), auteur d’études comparées du bouddhisme et du christianisme ainsi que d’un Robert Musil, mystique et réalité (Cerf, 2006), Paul Mommaers s’est attaché à la manière dont le Narra­teur rend compte des « impressions obs­cures » qui l’ont saisi lors de certaines de ses fameuses expériences de « mémoire involontaire » : moments de plaisir, de bonheur extraordinaires, moments aussi où, fugacement, il a éprouvé que vivait en lui « un autre soi ». Le propos de Paul Mommaers n’est certes pas d’identifier cet « autre soi » à un Proust insoupçonné, méconnu des commentateurs, un Proust « mys­tique ». Mais ses analyses extrêmement serrées de la description de ces états exceptionnels où le Narrateur cesse de se sentir « faible, contingent, mortel », lui permettent de cerner au plus près ce qu’il cherche à dire lorsqu’il qualifie ces moments d’expériences de la « réalité ». Une « réalité » bien différente de celles dont traite ordinairement la littérature, et dont le Narrateur comprend désor­mais qu’elle précède l’oeuvre littéraire, et que c’est sur elle qu’il va pouvoir bâtir la sienne. Une réalité qui demeure mys­térieuse, mais dont l’écho, sonore, tac­tile, visuel, auditif ou olfactif, structure l’oeuvre de bout en bout, de la chambre de tante Léonie au pavé et aux salons de l’hôtel Guermantes. Mommaers se garde bien de donner un nom à cette Réalité. Mais il est clair qu’à ses yeux elle échappe au réseau des problèmes et des théories esthétiques auquel se cantonnent généralement les lectures critiques de la Recherche. L’homme passe infiniment l’homme, on le savait déjà. Paul Mommaers invite à s’en assurer, une fois de plus. Son livre peut être considéré comme une in­troduction originale et décomplexante à la lecture de Proust : il prend son lecteur par la main et le guide de manière quasi didactique dans le labyrinthe enchanté, pour lui en faire lire – ce qui s’appelle lire – les passages clés, qu’il étale et commente avec générosité.