Je demandais un jour à un ami musulman quel titre donner à une conférence que je devais faire sur la spiritualité en islam. Devais-je l'intituler « Spiritualité de l'islam » ou « Spiritualité et islam » ? Il me répondit qu'il préférait le second titre. Distinction subtile qui ne change guère le sens, dira-t-on. J'ai cru comprendre, cependant, que mon ami voulait me dire par là que, s'il y a de la spiritualité en islam, l'islam ne saurait se réduire à la seule spiritualité. La même question se pose à propos du sujet qui nous occupe ici : si la direction de conscience existe en islam, et d'une façon très développée dans certains milieux, elle ne fait pas partie de son essence même : elle « n'est pas d'obligation canonique, ni d'usage général » 1. Elle est surtout le fait des milieux mystiques « tasawwuf», qui ne représentent pas le point de vue de l'islam en général, même si nous, chrétiens, nous y intéressons plus particulièrement. Serait-ce pour cette raison que le Dictionnaire de spiritualité, si riche par ailleurs, ne consacre aucun paragraphe à la direction spirituelle en islam, comme il le fait, par exemple, pour le bouddhisme 2 ?
Cette remarque préliminaire me semblait nécessaire pour aborder le sujet avec la loyauté et la liberté nécessaires. Qu'il s'intitule « Maître et disciple dans la mystique musulmane » ne veut pas dire que des musulmans non mystiques n'ont jamais recouru à la direction spirituelle, mais que la pratique et la théorisation de celle-ci reste le fait spécifique des soufis. Le sujet, dans ces limites mêmes, reste cependant très vaste et révèle une richesse et un approfondissement spirituels encore peu explorés jusqu'à nos jours (du moins dans la littérature de langue française), la plupart des sources en la matière restant manuscrites 3.
Par ailleurs, comme toutes les pratiques religieuses, la direction spirituelle s'est développée avec le temps de façon inégale. On peut dire, en simplifiant les choses, que, dès le ix* siècle, on trouve dans le traité Ri'âya de Muhâsibî 4 (m. 857) les premières allusions explicites à cette pratique des soufis. Au siècle suivant, Makkî (m. 990), dans son célèbre ouvrage Qût al-qulûb, y fait également allusion. Mais il faut attendre le xiv* siècle pour trouver chez Ibn 'Abbâd al-Rundî (m. 1390), et dans son milieu marocain d'origine espagnole, un double recueil de lettres de direction proprement dite, les Rasâ'il sughrâ (Lettres « mineures ») et les Rasâ'il kubrâ (« majeures »). Elles sont malheureusement incomplètement éditées en arabe et inaccessibles en français 5. C'est dire que nous nous référerons souvent à ce dernier auteur en recourant directement au texte arabe.

Maître et disciple chez les soufis


S'interrogeant sur l'origine de cette pratique de spiritualité, Paul Nwyia écrit ce qui suit :

« Sous quelle influence l'Ecole soufie a-t-elle été amenée à introduire dans l'islam, religion sans sacerdoce et hostile à toute médiation entre le croyant et son Dieu, hormis la parole même de ce Dieu, cette fonction proprement sacerdotale en vertu de laquelle le cheikh engendre le novice à une vie nouvelle 6 et devient le médiateur de l'inspiration (ilhâm) au même titre que Gabriel est le médiateur de la révélation (wahî), il est difficile de le dire, encore que les influences étrangères soient ici indéniables » 7.

Quoi qu'il en soit, la nécessité d'un guide spirituel (cheikh ou murchid en arabe ; pîr en persan) pour suivre son disciple/novice (murîd) dans son parcours/voie spirituelle (tarîq ou sulûk) est affirmée par tous les maîtres. Voici ce qu'en dit l'un d'entre eux :
 
« Le novice ne peut se passer dans cette voie de la compagnie d'un cheikh expérimenté et homme de conseil qui a achevé sa propre formation et s'est libéré de ses passions. Que le novice lui livre son âme, et qu'il obéisse avec soumission à toutes ses consignes, sans méfiance, ni tergiversation, ni hésitation. On a dit en effet : "Celui qui n'a pas de cheikh, Satan est son cheikh" » 8.

Ce texte indique bien le rôle réciproque des deux protagonistes : nécessité pour le cheikh d'avoir fait lui-même l'expérience et, pour le novice, de le suivre, sinon aveuglément (« perinde ac cadaver », comme le remarquent certains auteurs 9), du moins avec exactitude et sans passer d'un directeur à un autre. Peut-être cet excès de soumission au directeur, soulignée chez certains auteurs spirituels, provient-elle d'un texte coranique capital pour notre sujet et souvent cité à propos de la direction spirituelle. Il s'agit des versets 64 à 81 de la sourate 18 (al- Kahf) — une des plus lues le vendredi dans les mosquées —, qui mettent en scène le prophète Moïse/Mûsâ entraîné par un mystérieux « serviteur de Dieu » ('abdu-nâ), figure emblématique du « cheikh », dans un parcours initiatique au cours duquel ce dernier met Moïse à l'épreuve. Or, devant le caractère apparemment scandaleux des propos qu'il lui tient, il exige à plusieurs reprises de Moïse cette obéissance absolue.
Si exigeante soit cette soumission du novice, dont les devoirs vis-à-vis de son cheikh sont détaillés dans des ouvrages spirituels réservés aux débutants (les âdâb al-murîd, sortes de manuel du comportement du débutant), le cheikh, de son côté, se comporte souvent comme un père, mieux : comme un bon éducateur qui ne prétend pas résoudre par lui-même toutes les difficultés de son dirigé, lui proposant des solutions tout en lui laissant la décision ultime. Il manifeste parfois, par ailleurs, un humour réel dans ses propos, reconnaissant que, dans le fond, il connaît les mêmes problèmes que son disciple.
Cette attitude nuancée du cheikh et cette sorte de connivence qui s'établit entre lui et son disciple apparaissent clairement dans les lettres de direction d'Ibn 'Abbâd, qui, à propos d'une épreuve spirituelle subie par son dirigé, lui dit : « Je partage moi-même tes difficultés ; ton épreuve est la mienne. » Ayant eu recours à la plaisanterie en répondant à l'une de ses lettres, il ajoute : « Si j'ai usé de plaisanterie dans mes propos, c'est pour que cela t'aide à retrouver un peu de consolation. » Et d'ajouter toujours avec humour, mais sans illusion • « J'ai cherché à te distraire et à te donner un peu de plaisir, sachant bien cependant que ce n'est pas cela qui soignera ta blessure en profondeur ; c'est, comme disent les braves gens, un "emplâtre sur une jambe de bois". » Ce qui n'empêche pas le directeur de donner à son dirigé les seules solutions qui lui paraissent solides, tout en reconnaissant les limites de ses interventions. En réponse à cette déclaration que lui adresse son murîd : « Peut-être, en voyant votre lettre, y trouverai- je ce qui me distraira de l'état où je suis », il ajoute : « Oui, distraistoi avec ce que je te dis, mais, surtout, loue Dieu de sa bonté et de sa générosité, car si cela ne te distraie pas, rien ne pourra le faire » 10.
 

Les maladies de l'âme


Les principales questions posées à son directeur par le novice portent sur les différentes maladies de l'âme, dont ce dernier est ou se croit atteint : scrupules, sentiment de désolation et d'être abandonné par Dieu, tristesse causée par des fautes commises, peur de la mort et du jugement, etc. Le rôle du cheikh consiste avant tout à dépister les illusions (ghûrûr) de son disciple, à lui reprocher son manque de détachement de lui-même, cause de la plupart de ses échecs spirituels, à l'engager aussi à se maintenir ferme dans la désolation — Dieu, dans sa bonté, ne pouvant l'y laisser. Citons un passage où Ibn 'Abbâd formule les critères qui lui semblent opératoires pour le discernement des esprits, en particulier pour reconnaître l'action du « mauvais esprit ». Il en énonce trois : 1. Eprouver, après le péché, une tristesse velléitaire qui ne se transforme pas en ferme résolution de s'amender ; 2. Renoncer au unrd (pratique des oraisons) pour se complaire dans le wârid (les bons sentiments) ; 3. Préférer les nawâfil (dévotions surérogatoires) auxfarâ'ul (prières canoniques) 11.
A une question de son correspondant lui exprimant qu'il baigne, lui-même et les siens, « dans le bonheur spirituel et temporel », le cheikh lui répond qu'il s'en réjouit beaucoup en en remerciant Dieu. Mais quant à savoir « si l'on peut arriver à connaître la cause qui nous permettrait de demeurer régulièrement dans un tel état, au point que ce dernier devienne, chez lui, comme une seconde nature », Ibn 'Abbâd lui répond qu'« il n'appartient pas à la créature de fixer cette cause, car Dieu seul est maître de cette causalité » et que « s'efforcer d'y arriver par soi-même est une entreprise vouée à l'échec ; ce genre de consolation deviendrait alors une habitude qui n'a plus rien à voir avec une grâce de Dieu » 12
Les circonstances historiques font que certains problèmes de direction spirituelle soient abordés davantage à telle époque qu'à d'autres. Au xiv* siècle, par exemple, deux groupes soufis de Grenade, en relation avec d'autres du Maroc, s'affrontèrent pour savoir laquelle des deux formes de direction était la meilleure, celle qui se basait surtout sur la lecture privée des ouvrages mystiques ou celle qui considérait comme nécessaire le contact direct et constant avec un cheikh 13. Consulté sur ce problème, Ibn 'Abbad prend une attitude très nuancée. Nous nous attarderons un peu sur sa réponse, car elle touche une des questions importantes sur la direction spirituelle en islam. Le cheikh distingue en effet deux sortes de maîtres spirituels : ceux qui instruisent (ta'lîm) et éduquent (tarbiya) leurs novices, et les autres qui se contentent de les instruire. Les « éducateurs » sont indispensables au novice encore inexpérimenté, « dont les yeux sont couverts de voiles épais » que seul un cheikh éducateur peut lever ; les avancés ont seulement besoin d'un cheikh al-ta'lim qui leur enseigne la doctrine du soufisme. « De toute façon, ajoute Ibn 'Abbâd, le cheikh est nécessaire. Mais il n'est pas toujours facile d'en trouver un, surtout à notre époque » 14.
Reste le problème de savoir si, dans l'impossibilité de trouver ce maître, perle rare s'il en est, on peut déjà pratiquer le tasaunvuf ou non. La réponse à cette question amène Ibn 'Abbâd à nous donner son point de vue sur la vocation au soufisme, qui est essentiellement pour lui « non une conquête, mais un don de Dieu ». La présence du cheikh à ses côtés est absolument nécessaire pour aider et soutenir le novice dans les différentes étapes de son parcours/itinéraire (sulûk) spirituel, mais elle est toujours postérieure à cet appel de Dieu qu'il a éprouvé — et qu'il lui faudra vérifier et préciser avec le cheikh — et dépendante des initiatives de Dieu, toujours premières, à son égard.
 

La traversée des épreuves


Cet itinéraire, comme celui de Moïse dans la sourate coranique citée plus haut, est semé d'embûches, parfois paradoxal, mais toujours plein de pièges et d'illusions qu'il est précisément dans le rôle du cheikh de discerner et de dissiper. Le caractère particulier de l'islam — qui ne connaît pas d'intermédiaire communautaire officiel entre Dieu et le croyant — et de sa révélation centrée sur les paroles du Livre strictement interprétées fait qu'en certaines circonstances le croyant moyen, mais surtout le candidat au tasaunvuf, doit affronter des situations intérieures qui sont rien moins que faciles à résoudre. C'est là, à cette profondeur, que le rôle du cheikh devient aussi indispensable que délicat, et parfois embarrassant.
Dans sa longue pratique de la direction spirituelle, Ibn 'Abbâd eut à faire face à des problèmes de ce type. Nous en trouvons des échos dans sa correspondance ou dans son Commentaire des sentences d'Ibn 'Atâ' Allah (Tanbîh). L'épreuve sous toutes ses formes (spirituelle et intérieure, mais aussi matérielle) revient souvent dans les lettres de ses correspondants. Si la solution que le maître essaie d'y apporter est de maintenir le cap dans ces sortes de passages à vide, la pensée qu'à l'épreuve succédera la détente (al farag ba'd al-chidda) peut établir le patient dans un certaine paix.
Mais Ibn 'Abbâd n'en est pas moins très exigeant, persuadé que le trouble et la peur de son disciple viennent en premier lieu d'une trop grande considération pour lui-même. Fidèle en cela à son maître Ibn 'Atâ' qui dit dans une de ses sentences : « L'avènement des tribulations est une fête pour les novices (wurûd al-fâqât, a'yâd al-murîdîn) », Ibn 'Abbâd exhorte son disciple à considérer que, s'il peut trouver la pabc dans une totale sortie de lui-même, accompagnée d'une application stricte mais non exagérée de la loi (char'), il ne doit pas laisser le trouble, la tristesse, et ce qui peut altérer son coeur et son esprit, envahir sa conscience Ses manquements mêmes, et les troubles qui en découlent « sont à mettre au compte des choses qui le rapprochent de Dieu », et, partant il n'a pas à essayer à tout prix de s'en débarrasser :

« Après cela, ne te soucie pas des scrupules qui te viennent et qui te font croire que tu es bon ou mauvais, croyant ou mécréant assuré de la vie future ou non, objet de récompense ou de châtiment ; ce sont là pensées vaines et scrupules sans profit source uniquement de frustration qui, si elle devait durer, risque de te mener finalement... à l'hôpital, psychiatrique celuilà (...) Chacun d'entre nous est plus ou moins atteint d'un tel mal » 15.

Dans la première des sept Lettres mineures, il s'adresse d'une façon plus générale à son disciple :
 
« C'est une grande grâce de Dieu qu'il nous éprouve par les difficultés, les malheurs, les soucis et les tristesses. C'est en effet ce qui est le plus capable de nous rapprocher de Lui... Rien de mieux ne peut nous faire gravir les degrés [de la sainteté] sans crainte de tomber. Soyez dans la joie dans ces moments-là : vous ressemblez alors aux prophètes et aux saints amis de Dieu ; ce sont eux qui ont été les plus éprouvés (fa-inna-hum a 'zam al-nâs balâ'-an), car ce sont ceux que Dieu a le plus récompensés (li-anna-hum 'indâ Allah a'zam thawâb-an wa gazâ'-an). »

On constate ici à la fois la complexité des états où peut être entraîné le disciple, et la profondeur des réponses du cheikh jointe à un grand réalisme spirituel.
 

Devant le décret divin


Mais c'est, nous semble-t-il, autour des problèmes de la toute-puissance absolue de Dieu (qadar) et de son décret souverain (qadâ') « pour le bien et pour le mal (khayr-an wa charr-an) » 16 — si important en islam et qui mène inéluctablement hommes et choses — que se cristallise une des plus grandes difficultés du disciple et, partant, du directeur de conscience. A propos de l'épreuve, Ibn 'Abbâd met bien en relief ce caractère imprévisible, paradoxal et apparemment arbitraire, de l'action de Dieu dans un passage de ses Lettres mineures :
 
« Ne devrais-tu pas avoir de ton Seigneur une "bonne opinion" (husn alzann) et dire : "Je suis le lieu où tombent sa puissance et son décret (qadaru-hu wa qadâ'u-hu), la cible de ses flèches. Tout ce qu'il décrète pour moi — bonne direction ou errance, bonheur ou malheur, gain ou perte, obéissance ou révolte — est sur le même plan par rapport à sa grandeur. Il est possible que, comme II a décrété pour moi, dans le passé, l'errance, Il me mette à l'avenir dans la bonne direction ; de même en va-t-il par rapport au malheur et au bonheur • Il peut décréter pour moi une chose et son contraire" ? » 17.

Il faut aller plus loin. Quand bien même le disciple aurait écouté toutes les prescriptions de son cheikh et s'en remettrait totalement à la volonté de son Seigneur, est-il sûr pour autant de l'acceptation de Dieu et pourra-t-il vivre dans la paix que donne la certitude du salut ? Problème redoutable qui s'est posé à beaucoup de spirituels, mais particulièrement ressenti en islam où l'exégèse coranique amène le spirituel à voir, dans les conduites de Dieu énoncées dans le Livre, une façon constante d'agir, susceptible d'être appliquée à lui-même.
A propos du verset qui traite des juifs 18 qui ont usé de subterfuges trompeurs (makaru), Dieu est déclaré « le plus capable d'user de ruse et de machination (amkar al-mâkirîn) » pour les en punir en retour (Coran 3,47 et 13,42). A cause de cet attribut de Dieu, son action peut être ambivalente et mettre le fidèle arrivé à un certain degré de perfection dans un état voisin du désespoir. Le célèbre mystique Chibli (m. 945) disait déjà : « Prends garde à ses machinations (makr), même quand II te dit : "Mangez et buvez" (Coran 3,19) (...), car, même si apparemment ses paroles signifient une faveur dont II te comble, en fait, elles sont une tentation et une épreuve. » Comme si Dieu pouvait « conduire son serviteur à sa perte par des voies apparemment droites, comme II peut le mener au salut par les sentiers du mal ». Ibn 'Atâ Allah dit dans une de ses sentences :
 
« Seigneur, je ne désespère pas de Toi dans ma désobéissance, mais ma crainte ne me quitte pas, même si je t'obéis. »

Devant ce délicat problème de conscience où peut se trouver son disciple, le cheikh, sans pouvoir l'assurer que son action est reçue de Dieu, peut du moins l'inviter d'abord à rester dans la crainte vigilante, surtout en cas de faveurs charismatiques dont il pourrait être gratifié : « Qu'il prenne garde d'être alors l'objet d'une machination divine (makr) qui pourrait le fourvoyer imperceptiblement (istidrâg) » 19.
Ajoutons qu'il s'est trouvé en islam, en dehors de cette direction très personnelle et sur un plan plus politique, des sortes de directeurs spirituels/conseillers (murchid), en particulier autour de personnalités connues. Fakhr ad-Dîn al-Fârisi, par exemple, conseiller spirituel du sultan ayyoubide d'Egypte, al-Kâmil (m. 1238), neveu de Saladin, se trouvait, semble-t-il, auprès de lui lors de la visite de François d'Assise à ce dernier durant la cinquième croisade en 1218 20. Plus curieux et plus célèbre est le cheikh Khadir al-Mihrâni, conseiller, au Caire aussi, d'une autre grande figure islamique : le sultan mamelouk Baîbars (m. 1277). D'origine kurde, il aurait prédit au jeune mamelouk, alors peu connu, son fulgurant destin. Il le suivit tout au long de son règne, consulté avant toute entreprise, se mêlant de ses affaires pour le meilleur et pour le pire. Sorte de Raspoutine avant l'heure, tout autant aimé que haï du sultan quasi envoûté par ce curieux personnage, il termina sa vie aventureuse en prison 21.
On voit l'écart existant entre ces derniers personnages et ceux dont nous avons évoqué la vie et la pratique spirituelles. Ils ont exercé leur activité dans un secteur de la vie islamique qui n'est pas reconnu par tous comme se conformant aux normes traditionnelles de l'islam. Les uns et les autres n'en sont pas moins les témoins d'une tradition qui fait partie de son patrimoine religieux.



1. Louis Massignon, « Note bibliographique sur la direction spirituelle en islam », Opéra minora II, PUF, 1969, p. 404.
2.T III, col. 1210-1214
3. Cf L Massignon, art. cit, et, surtout Paul Nwyia, Ibn 'Abbâd de Ronda (1332-1390), Dar el- Machreq, 1961, pp 216-249 Dans Y Encyclopédie de l'islam (Brill, 1973), en dehors du très long article de Massignon sur le tasaiMWi//mystique, il n'y a rien sur le sujet, sinon à travers les notions suivantes Shayh (directeur de conscience), t 9, p 410 , Murchtd (autre dénomina- Uon, moins fréquente, du directeur), t. 7, p. 631 , Murîd (disciple, « novice »), là, p 608 Quant aux textes d'auteurs arabes (ou persans) assez abondants sur la mystique musulmane traduits en français, ils donnent soit des renseignements importants sur les étapes et les différentes pratiques de la vie mystique (ahwâl, mawâqif, dhikr, wird, etc ), soit des monographies sur les soufis eux-mêmes, sans aborder la direction spintuelle proprement dite.
4. Dès le début de l'ouvrage, il indique que le premier savoir requis du disciple « est de savoir qu'on est un serviteur soumis à un maître » (cf L Massignon, Essai sur l'origine du lexique technique de la mystique musulmane, Vrin, 1964, p 245)
5. On en trouve cependant de larges extraits, ainsi qu'une analyse complète des deux types de correspondance signalés ci-dessus, dans P Nwyia, op cit, pp 150-213. Ibn 'Abbâd, originaire de Ronda en Andalousie, a surtout vécu au Maroc, à Fès et à Salé, à l'époque des sultans ménnides. Ses deux recueils contiennent respectivement trente-huit (Rasâ'il kubrâ) et seize (Rasâ'il sughâ) lettres de longueur inégale Ce sont les plus explicites, quoique marquées par leur temps et la personnalité de l'auteur, sur la direcuon de conscience.
6. Ce sont les propres termes de Suhrawardî (m 1234) dans son célèbre ouvrage 'Awânf alma'ânf'p. 74), qui se réfère explicitement à l'Evangile de Jean, cité librement : « Celui qui ne
naîtra pas deux fois n'entre pas au Royaume des cieux. »
7. Op. cit, p. 233.
8. Ibn 'Abbâs, Rasâ'il Sughrâ, cité par P Nwyia, op cit., p 206.
9. « Mithl al-mayyu Ji yaday al-ghâsil » - « Comme le mort dans les mains de celui qui fait sa toilette funèbre », dit Tustarî avant François d'Assise et Ignace de Loyola. Pour 'Alt Wafâ (xv siècle), « le directeur est comme la direction de la prière et la vraie Ka'ba vers laquelle le dirigé doit se prosterner » (cf L. Massignon, an. cit, p. 405).
10. Rasâ'l sughra, pp 159,162-164
11 Cf P Nwyia, op cit, p 118 Cette citation est prise d'un autre ouvrage d'Ibn 'Abbâd, son Tanbih, commentaire des célèbres sentences (hikam) d'Ibn 'Atâ' Allah, un autre mysuque de la tradition châdhihte (à laquelle appartenait Ibn 'Abbâd) mort au Caire en 1309 Ses Sentences, éditées et traduites en français par P Nwyia (Ibn 'Atâ' Allah et la naissance de la confrérie sâdilite, Dar el-Machreq, 1972), sont un de ses textes mystiques les plus célèbres et abordables Notons à ce propos que la mysuque châdhihte (contrairement à celle d'AI-HalIâ) ou d'Ibn 'Arabî, par exemple) a toujours (oui d'un grand prestige dans l'islam traditionnel
12. Cf Rasâ'il sughrâ, pp 153-154
13. Sur cette controverse, cf P Nwyia, Ibn 'Abbâd (pp 48s) et Ibn Khaldoun, le grand écrivain du Maghreb, dans son opuscule intitulé Chifâ al-sâ'il li-tahdhîb al-masâ'il
14. P Nwyia, op M, pp 210-211
15. Rasâ'il sughrâ, p. 150.
16. Affirmation extraite d'un des plus célèbres hadiths « authentiques » du Prophète, deuxième de la collection des quarante hadiths de Nawawî (m 1276)
17. Rasâ'il sughrâ, p 148
18. Où il est dit qu'ils ont fait croire, par une subsutuuon de personne, qu'isâ/Jésus avait subi la crucifixion, ce que refuse l'islam par respect pour sa personne très pure
19. P Nwyia, op cit, pp 117-118 Du même auteur, à ce sujet et sur le terme d'istutrâg, cf Ibn 'Atâ'Allah ,pp 257-258
20. Cf L Massignon, La Passion de Hallâj, martyr mystique de l'islam II, Gallimard, 1975, pp 314-315
21. Cf notre arucle « Hadir Ibn Abî Bakr al-Mihrânî (m 676/1277) sayh du sultan mamelouk al-Mahk al-Zâhir Baîbars », Bulletin d'Etudes Orientales (BEO), t 30, pp 174-183