Si nous prenons le récit de Da Câmara sur la vie du pèlerin comme un récit historiquement fondé, nous avons alors beaucoup de raisons de penser que la première et longue étape de la vie d'Ignace préalable à sa conversion (plus d'un tiers de sa vie au total) fut basée sur une recherche d'« affirmation » de soi dans toutes ses dimensions. La première ouverture du Récit est déjà très significative : « Jusqu'à ses vingt-sept ans, ce fut un homme adonné aux vanités du monde, et il se délectait principalement à l'exercice des armes, avec un grand et vain désir de gagner les honneurs. »

La « vaine gloire »


Cette phrase, par son accumulation sémantique, offre un portrait succinct mais dense de l'orientation vitale d'Ignace, qui s'adonna consciemment et librement aux vanités du monde Vanité et monde : deux termes d'orientation résolument sociologique et théologique qui situent Ignace aux confins d'avoir ne serait-ce qu'une intuition de Dieu. Cette quête de vanités se concrétise dans son histoire par l'exercice des armes, la recherche de la victoire, du succès, laissant implicitement sur le bord du chemin vaincus et ratés.
Ignace a construit son histoire personnelle au prix du triomphe sur lui-même, avec pour résultat fréquent le triomphe sur les autres. Vivre pour la « vaine gloire » implique de comprendre en grande partie la vie comme une bataille, un lieu pour s'affirmer, un moyen de poursuivre toujours l'honneur et la gloire Je ne parle pas ici des aspects militaires bien connus de la jeunesse de notre protagoniste, mais de sa configuration anthropologique, de sa manière de se comprendre.
Vivre, pour Ignace, était en grande partie s'affirmer, et pour ce faire, il avait d'abord besoin de se battre pour prévaloir. Prévaloir en critères, jugements, décisions, actions..., en tout ce qui se trouve de façon réelle ou intentionnelle à la portée du moi. Être accroché à la dynamique d'un désir ainsi motivé, c'est alimenter l'ego en permanence, parce que c'est vivre en dépendant à chaque moment de la victoire du moi en toute circonstance intérieure ou extérieure La personne se trouve à son insu recroquevillée sur elle-même Cela, Ignace le reconnaît dans sa maturité, en se rappelant que le « désir », cette puissante énergie qui l'a toujours habité, était dans ses jeunes années « grand et vain » (quantité et qualité), orienté vers la victoire et le triomphe, et partant l'honneur.
Le triomphe recherché et obtenu a aussi des répercussions psychologiques et anthropologiques : il donne de la « délectation », du plaisir, de la satisfaction Suivi des honneurs, il a pour effet que le moi se sente bien avec lui-même et avec les autres, sans doute confirme-t-il l'image positive qu'il pourrait avoir de lui-même, convaincu que quelque chose d'approchant pourrait se produire dans l'image que les autres vont avoir de lui-même 1. Triompher signifie alors valoir plus, être plus estimé, tenu pour supérieur par les autres, valorisé, puissant, donc respecté et, peut-être, craint. Tout cela faisait plus ou moins partie de la configuration anthropologique d'un chevalier. Mais en quoi ce « grand et vain désir