Bayard, 2005, 314 p., 23 €.

La force de cet ouvrage réside dans la précision des chiffres et des noms. Ici, pas de pathos, mais des relations froides exhumées des archives de l'Assistance publique, des bureaux de Bienfaisance, de la préfecture de police ou de l'Aide sociale. Quelques témoignages renforcent le trait de ces pauvres chahutés par l'histoire
L'Histoire avec un grand H constitue le fil rouge qui organise ce tableau autour des institutions libérales voulues par la Révolution française : dissolution des anciennes corporations, interdiction des associations professionnelles, bref tout ce qu'il a fallu au libéralisme pour renforcer l'accumulation du capital.
L'histoire avec un petit h joue également son rôle quand les contrecoups des guerres, des crises économiques, des méchants hivers, des inventions techniques, des insurrections urbaines, jettent dans la misère femmes et enfants. De grandes figures sont évoquées dans le sous-titre et tout au long des pages : Henri Grouès, plus connu sous le nom d'Abbé Piene ; Jeanne Jugan, fondatrice des Petites soeurs des pauvres ; Frédéric Ozanam et Emmanuel Bailly, promoteurs de la Conférence de saint Vincent de Paul ; Joseph Wresinski, âme du mouvement ATD Quart-monde ; Jean Rodhain, qui fut à l'origine du Secours catholique.
 Mais, curieusement, ce ne sont pas ces figures qui touchent le plus le lecteur. Ce sont plutôt ces noms, accumulés dans leur sécheresse administrative et dont la juxtaposition fait jaillir le tableau d'une détresse qui apparaît d'autant plus absurde que l'idéologie libérale l'avait déclarée contraire à la raison.
Pierre Pierrard organise son ouvrage comme le procès de l'idéologie des Lumières incarnée dans les institutions voulues par la Révolution française. Si l'on fait la part d'unilatéralisme contenu dans le propos, et si l'on dent compte de l'apport de l'organisation rationnelle de l'économie dans le cadre de la démocratie libérale, l'intuition fulgurante du charisme caritatif n'en reste pas moins valable : l'être humain ne se réduit pas à ce qu'en saisi la raison instrumentale. Morale de l'histoire : l'attention à la singularité des personnes demeure toujours nécessaire à un monde qui se veut humain.