Il faut se méfier des biographies pieuses. Elles nous présentent souvent des existences trafiquées. Pour produire de belles images d'Épinal, elles s'arrangent avec les faits. Les fabricants de littérature sulpicienne savent que nous sommes des éternels enfants : on aime qu'on nous raconte des histoires qui ont toujours les mêmes schémas : des combats contre des penchants mauvais, dont le héros triomphe, ou des vies qui se présentent comme une constante progression vers le bien. Pourtant, nous savons bien que ce n'est pas ainsi que vont les choses. Que le cœur de l'homme est divisé : jusqu'à la fin s'y livre une violente bataille pour rejeter l'ombre qui voile en lui la lumière. Un itinéraire, fut-il celui d'un grand spirituel, n'est donc jamais une marche régulière vers la sainteté. Son tracé ressemble plutôt à une ligne courbe, faite d'incertitudes, de contradictions, d'enlisements, voire de retours en arrière. Même aux plus avancés, il arrive de trébucher.

Dom André Louf, qui compte parmi les grands témoins de la tradition contemplative chrétienne, ne déroge pas à cette vérité. Dans les années 1990, ce maître spirituel est abbé de la trappe du Mont des Cats, dans le nord de la France, depuis près de trente ans. Il est temps pour lui de passer la main, de faire souffler un vent nouveau. Pourtant, avec un entêtement qui étonne, le trappiste va faire traîner sa démission en longueur, donnant l'impression de s'accrocher à son pouvoir. Lui qui fut une lumière, auprès de qui tant sont venus éclairer leurs affres existentielles, paraît en cette occasion manquer de clairvoyance. Pourquoi cet