Pour ouvrir quelques pistes éclairant la situation religieuse de noue temps, on peut d'abord poser en axiome que la situation du religieux n'est jamais sans lien avec celle du politique. La relation entre le politique et le religieux est une relation permanente. Ce qui affecte l'un affecte l'autre. Ainsi, même un regard superficiel nous fait voir que les grands appareils religieux et politiques sont aujourd'hui sous la pression de l'opinion publique, de la société civile, d'un nouvel état d'esprit, et, plus radicalement, que les grandes causes religieuses et politiques, avec les grandes cultures qui ont animé notre espace (en France, ces cultures symétriques : la communiste et la catholique), sont durement déclassées. Le politique, qui a toujours donné l'orientation en France, n'est plus réellement le moteur, mais il accompagne et corrige l'économie. Les grandes vérités religieuses de la confession de foi chrétienne (révélation, création, rédemption, résurrection) non seulement n'animent plus la culture, mais souvent ne sont plus une lumière pour les individus religieux. L'Eglise et l'Etat, dans leur visage traditionnel, souffrent en même temps — ce qui ne signifie pas que leur fonction soit dépassée. C'est l'individu et la « société civile » (les associations libres d'individus) qui sont au premier plan. Ces deux institutions, il leur faudrait se métamorphoser pour s'adapter à un nouveau rôle.
 

Un temps sans orientation ?


Le trait le plus frappant, depuis la chute du communisme, il y a dix ans, est le déclin du messianisme religieux et politique : le temps, soudain, n'est plus orienté, l'histoire ne va plus quelque part... Or le chrétien, l'homme des Lumières, le communiste — ces frères ennemis — étaient d'accord tous les trois sur un point : le temps est orienté ; l'histoire va quelque part. Emmanuel Levinas l'a senti : « Depuis la Bible, nous sommes accoutumés à penser que le temps va quelque part, que l'histoire de l'humanité se dirige vers un horizon : le temps promettait quelque chose (...) On s'imaginait qu'après une période obscure et difficile à traverser viendraient des temps meilleurs (...) Avec l'effondrement du système soviétique (...), le trouble atteint des catégories très profondes de la conscience européenne. Notre rapport au temps se trouve mis en crise. »
Après les catégories chrétiennes, ce sont les catégories de pensée qui soutiennent l'espérance séculière qui cèdent. La croyance communiste bénéficia longtemps de la présence en Europe d'une réserve d'hommes « privés de Dieu », selon l'expression de François Furet ; elle s'inscrivait dans le deuil de la foi en Dieu, mais aussi dans le prolongement des catégories messianiques. Aujourd'hui, le temps ne va plus nulle part, il ne comporte pas de promesse, il est à vivre dans l'instant, dans le présent. Ce n'est pas dire qu'il n'y a plus du tout d'espoir, plutôt l'espoir se brise-t-il très vite. Il y a trente ans déjà, Octavio Paz prenait acte de la fin du temps linéaire, de la venue d'un temps sans avenir et sans révolutions : le retour des cycles. Nous tombons, plutôt nous retombons, sur le présent, le seul présent.
On ne peut manquer de s'interroger sur le pourquoi de cette volonté, parfois frénétique, de s'émanciper du temps chrétien. Pourquoi ce véritable rejet, davantage qu'un oubli, du temps chrétien, de ses rythmes, de ses rites, de ses fêtes, de ses représentations ? L'histoire sainte qui va d'un commencement à un terme en passant par un présent n'est plus le miroir de notre expérience. Pourquoi nos contemporains cherchent-ils une doctrine spirituelle partout, n'importe où, sauf dans le christianisme ou chez un auteur chrétien ? Est-ce le résultat d'une trop longue histoire de séduction/déception, de vieilles rancunes d'un trop vieux couple ? Tout paraît trop connu, et pourtant rien ne l'est. Ou plus probablement l'air du temps s'est-il complètement inversé !
C'est comme si, après des décennies et des siècles de « guerres de religion », puis d'idéologies séculières et de totalitarisme, nous prenions le temps de respirer, nous nous installions dans une attitude d'examen et de scepticisme à la Montaigne. Montaigne, notre héros, plus que Pascal ! C'est comme si nous voulions prendre un temps de vacance ou de vacances ! La qualité du temps subit une décompression — c'est du moins ce qui est désiré. Les conséquences sont immédiates : le militant, politique ou religieux, n'est plus un type humain attirant.
 

L'embarras libéral


La situation ici esquissée doit être éclairée dans le cadre plus général qui commande notre temps : le libéralisme. Avec la disparition de l'utopie, celui-ci réapparaît comme la nouvelle idée organisatrice. Car les traits que nous avons esquissés se rattachent à un système. Le libéralisme au sens large — moins une doctrine qu'une attitude philosophique et politique — est devenu l'horizon majeur de noue temps. Le libéralisme politique met au premier plan les choix de l'individu dans la société civile et la société religieuse ; la société est seconde. Quelques principes fondamentaux sont désormais admis presque partout : la société pour l'individu, la séparation du politique et du religieux, la séparation des pouvoirs... Le libéralisme n'interdit rien, il permet ; il autorise les expériences. Le libéralisme garantit les libertés individuelles dans la société, il est une attitude critique, méfiante à l'égard des pouvoirs.
 
« Le libéralisme ne s'est pas proposé de remplacer ces constructions (antérieures) par d'autres ; le caractère même de cette tradition intellectuelle, essentiellement critique, lui interdisait de proposer, à l'image des autres grandes philosophies politiques, une métahistoire. Auparavant, ce domaine appartenait aux religions ; le libéralisme n'a rien offert en échange et il a circonscrit la religion à la sphère privée » 1.

Or la religion circonscrite à la sphère privée contredit la nature de la religion, qui est aussi une institution publique, parce qu'elle est un culte, parce qu'elle cherche à transmettre : elle est rite, coutume, culture. Même pratiquée sous une forme individuelle, elle doit s'inscrire dans le monde sous peine de se dissoudre complètement. Elle s'inscrit par l'art, la morale et même le droit. Elle a besoin de s'exprimer à travers des formes visibles, qui la font se heurter nécessairement à d'autres conceptions du monde. La démocratie suppose que l'ordre politique soit posé comme indépendant de l'ordre religieux, mais il est inévitable que les deux domaines se recoupent par certains côtés, et cela les rend mutuellement conflictuels. En dépit des bonnes intentions, la tension, sinon le conflit, demeure la règle. L'idée libérale s'applique donc dans le domaine religieux, et il n'en est pas de plus déconcertante pour le catholicisme. Le libéralisme « dé-corporéise » les choses. C'est un art de la séparation. Octavio Paz remarque que le libéralisme a fondé la liberté sur l'autonomie de la conscience et la reconnaissance de celle d'autrui, mais qu'il laisse entière l'autre moitié de la question, celle de la fraternité. Il laisse aussi sans examen la question du sens de la vie, de la condition humaine.
Une fois le principe admis s'ensuit en quelques années une métamorphose du paysage religieux. Ce n'est pas que l'athéisme et l'indifférence religieuse aient disparu. Mais on conçoit aujourd'hui une pluralité de choix et d'options dans le domaine religieux lui-même tout à fait étonnante. La société française était traditionnellement plutôt dualiste (clivage catholique/laïque ou croyant/incroyant), elle est brusquement devenue pluraliste : une si soudaine métamorphose a un caractère presque suspect d'enchantement. C'est un changement de paradigme. La libre entreprise que l'on concevait dans le domaine économique s'installe dans le domaine religieux : la libre entreprise religieuse. Dans un pays longtemps dominé par l'Etat et par l'Eglise catholique, les religiosités libres, les libres entreprises religieuses surprennent. On en revient à ce qui existait sous l'Empire romain : « Au lieu du "parti unique" qu'est une Eglise, c'est la "libre entreprise" religieuse : chacun fondait le temple et enseignait le dieu qu'il voulait » 2.
Le libéralisme est une vague de fond, un état du monde, un air du temps, auquel il est difficile de résister, puisque votre interlocuteur à tout moment, loin de s'opposer à vous, vous dit, comme il dit à chacun : « Faites donc, je vous en prie ! » Le paradoxe du libéralisme est celui-ci : dès le début, il est le moyen de l'émancipation du monde profane par rapport à l'Eglise 3, mais il ne s'oppose pas au christianisme. Chez Locke, par exemple, l'individualisme et les droits subjectifs de l'individu sont liés à l'affirmation centrale que les hommes sont créés par Dieu, libres et égaux Pour Locke et la mentalité américaine, le christianisme est à l'origine de la promotion de l'individu. Il n'y a donc pas de contradiction, du moins, à l'origine, dans le monde protestant. Le libéralisme ne s'oppose ni au projet politique ni à la vision religieuse, il les relativise, les pluralise, les rend indéfiniment négociables. Et, de cette manière, il leur fait incontestablement violence. De ce fait les minorités religieuses sont favorisées, et les majorités — le catholicisme en France demeure une sorte de majorité sociologique — deviennent des sortes de grandes minorités et sont traitées comme des minorités, des « dénominations », à la manière américaine. Le christianisme catholique perd alors beaucoup de sa visibilité, et Jean Baubérot veut même lui enlever le peu qui lui en reste 4. Nous sommes noyés dans un océan où nous ne voyons plus ce que nous représentons ; nos paroles ne mordent plus.
Dans ces conditions, le réflexe identitaire est premier, naturel, légitime Il comporte repli et résistance. La résistance est normale, car la friction entre le libéralisme — une méthode qui cesse d'être une méthode et devient une manière de vivre — et la vision du monde universaliste propre aux grandes religions n'accuse pas la frilosité de celles-ci, mais un conflit de nature. Dans la mesure où l'attitude de résistance entraînerait pour ces religions un repli sur leur monde particulier, ce repli s'opposerait à l'universalisme de la tradition « catholique » (mot qui signifie « universel ») et dont l'institution « multitudiniste » se veut comme une grande tente à l'intérieur de laquelle beaucoup de diversités peuvent coexister.
 

Les formes de la vie religieuse


Un moment tel que le nôtre peut avoir une valeur et permettre des recompositions spirituelles. Il n'y a plus de grande fresque dominante, de grand récit unificateur, et ceci pose une question : on se demande comment une société peut vivre sans mythe commun. Mais l'individu vaut pour lui-même et se retrouve seul face à lui-même. Il y a une recherche de sens nue, sans soutien, une volonté de trouver par soi-même indépendamment des traditions. Non plus l'espoir, mais le courage devient la vertu-clé. Jean-Louis Servan-Schreiber l'a écrit : le déclin des idéologies nous impose d'affronter avec courage la condition humaine, qui n'a pas changé depuis Shakespeare. Il s'agit de connaître la condition humaine, la finitude. Dès lors, la recherche de sens prend une autre forme. En particulier, la philosophie et la religion changent de statut.
La philosophie redevient sagesse. Elle redevient un art de vivre, une règle de vie. Elle redevient pratique. La philosophie perd le statut purement intellectuel qu'elle n'a eu en fait que sous le christianisme, comme l'a bien montré Pierre Hadot dans Qu'est-ce que la philosophie antique ? Le souci de la sagesse individuelle fait un étonnant retour. Il s'agit de sagesse de vie, d'expérience vitale, sous les formes inspirées de l'Antiquité. On s'affirme moins athée, plutôt agnostique, en recherche d'une sagesse qu'on peut chercher chez les grands sages de l'Antiquité, tel Sénèque, dont les écrits ont été beaucoup réédités ces années, et sans doute dans le bouddhisme qui vient à point nommé dans ce contexte. « La tradition dont je me réclame — celle d'Epicure, de Lucrèce, de Spinoza — conçoit la philosophie comme une entreprise de libération : philosopher, c'est apprendre à se déprendre », écrit André Comte-Sponville. Une libération qui est une désillusion joyeuse. Les valeurs de l'Antiquité font retour, comme si on pouvait mettre entre parenthèse les temps chrétiens. Cela ne veut pas dire que la figure de Jésus ne marque pas notre histoire, mais on voudrait l'envisager autrement.
S'il en est ainsi, le christianisme est au défi de fournir un effort philosophique, c'est-à-dire un effort utile pour tous comme l'ont fait les grands athées ou des chrétiens comme Maurice Blondel, Gabriel Marcel, Jacques Maritain, dans un temps déjà lointain. Les temps bibliques aussi ont connu une telle inflexion, le passage du temps des prophètes au temps des sages, qu'a mis en valeur Paul Beauchamp (voir Job, Qohélet, la Sagesse). On ne peut oublier que, dans les premiers siècles, le christianisme s'est présenté comme une sagesse et une philosophie. Saint Augustin s'est converti à la sagesse avant de se convertir à Jésus Christ. On distingue chez lui trois conversions : l'une, à dix-huit ans, à la sagesse philosophique selon Cicéron ; une deuxième, à trente ans, à la sagesse néo-platonicienne ; et, finalement, sans renier les deux premières, l'identification de cette Vérité à Jésus Christ et le baptême. Sa catéchèse et son oeuvre partent toujours du désir humain du bonheur. Cette perspective reste-t-elle stimulante ?
La religion devient une religiosité sans Dieu. Le sentiment religieux se réadapte en direction d'une plus grande abstraction (Maria Daraki). Il se présente sous la forme du divin plutôt que de Dieu. De préférence un Dieu non personnalisé. Religions ou sagesses rétives à toute positivité trop rapidement affirmée, réticentes à tout Dieu identifiable. Est recherchée plutôt une harmonie avec le monde, le cosmos, voire la Nature. On suppose un esprit répandu, le divin dans le monde, à la manière stoïcienne. Nos contemporains sont plus à l'aise avec un Dieu sans visage, impersonnel, qu'avec un Dieu avec visage, qui appelle et qui exige. « Deus sive Natura » : « Dieu, autrement dit la Nature », selon Spinoza. On se représente les choses ainsi : un esprit d'où sortent des rayons, et, parmi ces rayons, il y aurait les diverses religions, toutes et chacune vues comme une manifestation partielle du divin. Comme résultat, une dédramatisation marquée de la représentation de Dieu.
Dans la mesure où le mysticisme est assez indifférent aux formes extérieures de la vie religieuse (rituel, mythe, dogme), où il est simplement l'insistance sur une expérience religieuse intérieure et présente, il ne peut qu'attirer ceux qui sont rebutés par les religions établies. Quand décline l'autorité des religions établies, l'attention se disperse sur un mélange de traditions (juives, chrétiennes, soufies...) ou sur une mystique première ou sauvage — à la limite, une mystique sans soutien et sans contenu religieux. Michel Hulin se réfère à Romain Rolland, au « sentiment océanique », à la pure joie d'être et de découvrir l'univers 5. La mystique est un don naturel de grand prix, le retentissement dans tout l'être humain (l'esprit, l'âme et le corps) d'une transcendance. Mais, quand les grandes traditions religieuses ne savent plus transmettre leur mystique, vient l'heure de la mystique « sauvage », un défi pour elles.
 

Une frontière ouverte


Si la pluralité religieuse fait en soi problème au christianisme reste que le dialogue avec les diverses religions et les différentes spiritualités est une occasion unique pour nos générations. Notre horizon s'élargit à la perspective des autres religions, c'est un stimulant que nos prédécesseurs ne connaissaient pas. Il n'est pas rare aujourd'hui de voir un chrétien, même traditionnel, aidé dans sa vie religieuse par un contact prolongé avec le bouddhisme, qui lui apprend, sans syncrétisme, quelque chose que le christianisme a moins développé. Le christianisme a été vécu dans des civilisations différentes : il est possible qu'il le soit demain sous des formes très différentes de celles que nous avons connues, dans une culture d'opinion publique et non seulement d'institutions. Le christianisme a toujours comporté un souci de la culture, et il s'est fait une place dans les différentes cultures en s'y adaptant. La connaissance de l'histoire relativise nos états d'âme.
La vie religieuse n'est plus encadrée : c'est très déconcertant, mais, pour nous rassurer un peu, on peut évoquer comme Peter Brown, l'historien de l'Antiquité tardive, les deux premiers siècles de l'histoire chrétienne qui ont été vécus dans une société où les frontières entre l'humain et le divin étaient demeurées « exceptionnellement fluides » 6. La religiosité commune des deux premiers siècles comportait « une intimité facile avec le divin, un accès facile au surnaturel », « le langage religieux de l'époque est celui d'une frontière ouverte », et les chrétiens ont trouvé une place dans cette société avec leurs prophètes, l'autonomie des laïcs et une diffusion directe des dons de l'Esprit Saint. L'accès au divin était plus libre, il comportait moins de médiations. Entre le 11e et le iV siècle, le rôle des médiateurs (les martyrs, les « amis de Dieu », les évêques) est devenu dominant. Au iv5 siècle, l'intimité facile est devenue une intimité médiatisée.
« Ce que les hommes et les femmes ont le sentiment de pouvoir faire ou non en relation avec le monde invisible dépend d'une sensibilité (ou d'un style particulier de relations) subtilement et efficacement façonnée par les conditions particulières qui déterminent ce qu'ils pouvaient faire ou non dans les relations qu'ils avaient entre eux », poursuit Peter Brown 7. Ce pourrait être notre conclusion. Tels sont les styles d'échanges sociaux, tels les styles de relation avec le divin. Or les relations sociales que nous pouvons avoir sont libérales, démultipliées, éphémères, invisibles, et nos relations avec le divin tendent à prendre la même figure, autonomes, démultipliées, changeantes, non hiérarchiques. Nos relations sociales sont (en apparence) déculpabilisées, empreintes d'un léger scepticisme, comme on le voit dans les relations affectives et conjugales. Cela ne peut que se traduire dans les relations avec le divin.
La situation religieuse que je cherche ici à comprendre — ce souci d'une sagesse individuelle et libérale — pose de nombreuses questions et semble contredire la perspective biblique, qui ne se soucie que très marginalement de liberté religieuse et qui est faite par contre d'un tissu d'interactions autrement riches ou dramatiques. Une belle vie est une vie mêlée au siècle, et non une spiritualité pour soi ou de préservation de soi. Tous ceux qui nous éclairent et que nous admirons ont partie liée aux événements et souvent aux drames du siècle. Il est clair qu'en un sens le christianisme est tout le contraire de ce que nous avons décrit. Il va avant tout dans le sens de la solidarité, de l'engagement, à l'image du mouvement du Christ, paru comme un homme et comme un prophète, à qui rien n'était plus étranger que de se dégager des événements dans laquelle sa parole a été prise. Mais justement en raison de ce mouvement de descente, en raison directe de la profondeur de sa descente en humanité, il est moins porté au jugement et, comme un sage, un maître de sagesse qu'il est aussi, voit le côté évolutif de toute situation, qui peut aboutir à une « conversion ».
Face à ce qui paraît être un appauvrissement, faut-il donc résister ? Exister publiquement, se faire entendre, c'est souvent s'opposer. Dans l'univers libéral, pluraliste, il faut se faire entendre, oser prendre la parole en son nom propre et, péniblement, à contre-courant, résister au courant dominant. La tentation est forte, pour ceux qui acceptent une vérité religieuse, de se retirer — tentation du repli et du silence —, car, dans une société démocratique, il faut tout débattre et tout justifier, jusqu'au dernier fondement. Parlant des prêtres américains, Tocqueville disait : « Ils s'efforcent de corriger leurs contemporains, mais ne s'en séparent pas. » Paradoxalement, dans nos sociétés démocratiques et rapides, une pensée non superficielle ne fait son chemin qu'à la longue. Mais il ne suffit pas qu'une pensée affronte le monde, il faut aussi qu'elle l'édaire.



1. Octavio Paz, L'autre voix, Gallimard, 1992, p 79.
2. Paul Veyne, « L'Empire romain », m Histoire de la vie privée l, Seuil, 1987, p. 202
3. Cf Pierre Marient Histoire intellectuelle du libéralisme, Calmann-Lévy, 1987, p 35
4. Cf « Des îours fénés pour la laïcité et toutes les religions », Le Monde, 21 décembre 1999
5. Cf. La mystique sauvage, PUF, 1993, p. 293.
6. Genèse de l'Antiquité tardive, Gallimard, 1983, pp 130-131 et 188-194.
7. là., p. 15