Nous sommes, tout le monde le sait et le répète, en une période de mutation, de changements accélérés et sans doute profonds. Les chrétiens, après avoir eu longtemps une attitude défensive ou résignée devant le changement, semblent vouloir se tourner beaucoup plus résolument vers le présent et l'avenir. Ainsi, la contestation se fait dure envers le conservatisme, les archaïsmes, l'attachement au passé, l'impuissance à regarder les choses en face, à risquer, à aller de l'avant. L'essentiel du christianisme, n'est-ce pas le « novum », la nouveauté du nouvel homme ? Renaissance significative de « l'eschatologie » : le Christ est l'avenir du monde, non le passé des chrétiens.

À cet égard, est significatif encore le rapprochement, voire l'identification chez certains, entre foi « authentique » et combat révolutionnaire. La révolution, c'est la liquidation d'un monde ancien et vermoulu, la mise à bas de « superstructures » survivant par leur inertie, ou par la puissance des intérêts et des peurs, à un changement réel des rapports sociaux et du rapport de l'homme à la nature. La révolution construira un monde neuf, tout neuf. Elle n'a que faire de « se souvenir ».

Peut-on en finir avec le passé ?

Cela, pourtant, ne va pas tout seul. À cet appétit de nouveauté et de destruction de tout le vieil édifice, répond une réaction de défense et conservation de « ce qui doit demeurer ». Cette réaction, au moment où j'écris, n'est pas sans force, et d'autant plus que les contestataires ont tendance, depuis quelque temps, à abandonner ce vieux vaisseau décidément vermoulu qu'est l'Église, voire le christianisme, laissant ainsi la place aux défenseurs de la « tradition ».

À cette situation, bien des explications. Fixons-nous ici sur un point : en un sens, mais tout à fait capital, il est absolument impossible à qui « croit au Christ » de prendre sans réserve l'attitude « révolutionnaire » que nous évoquions à l'instant, ou même, de façon plus large, l'attitude qui veut « en finir tout à fait avec le passé » et « se tourner vers le présent sans souci de conserver ». Et pourquoi ? Oh, pour une raison bien simple : c'est que le Christ appartient au passé.

Là-dessus, sans doute, protestations. « C'est justement d'avoir voulu nous fixer dans le passé qui a compromis le Christ avec les forces de conservation, qui a donné au christianisme l'allure archaïque et insupportable que nous ne lui avons que trop connue. Le Christ est l'aujourd'hui de Dieu, il est devant nous », etc. J'entends bien. Et je vois bien ce que par là on veut éliminer : une certaine figure de la « religion chrétienne » liée, de fait, à toutes sortes de données ou circonstances historiques qui sont derrière nous.

Mais ce que je disais tout à l'heure n'est pas du tout supprimé pour autant.