Ce film, La mante religieuse, pourrait diviser les spectateurs. Certains entreront d’emblée dans l’œuvre, pris de sympathie pour Jézabel et son éprouvant chemin de rédemption. D’autres risquent de la rejeter : plus en empathie avec David, ils réagiront au poids de mort de cet itinéraire.

C’est là qu’il importe d’insister sur le mouvement du film : il dirige d’emblée notre attention non sur le prêtre mais sur Jézabel et son parcours. Le douloureux écart initial entre ce qu’elle exprime et ce qu’elle ressent pourra-t-il être comblé, jusqu’à la joie ?

Son autoportrait apparaît, visage plein cadre, vibrant d’émotions contradictoires. Lorsqu’elle crée, elle dit vrai, elle est cet être aux traits troublés, terrorisée, « poupée cassée » en quête d’identité et en fuite des autres. Mais dès qu’elle quitte son atelier, elle sombre : les plans se multiplient où elle marche dans un tunnel, sur un trottoir, ces couloirs qui interdisent de tourner à droite ou à gauche, obligeant à avancer vers le lieu où elle ne veut pas aller. La scène inaugurale est en cela remarquable : elle entre dans la galerie où se déroule le vernissage de son exposition comme un condamné dans l’arène. Sous la pierre de son cœur, rougeoie encore un désir d’amour et sur le chemin de la transformation du cœur, nous avons tous notre place.

Aux obsèques de son père, Jézabel fait la connaissance de David. Dès le premier regard, elle forme le dessein de le séduire. Curé d’une paroisse parisienne, il partage son temps entre liturgies, chorale, kermesse, tournées auprès des prostituées et des SDF. Il entraine Jézabel dans son sillage, occasion de scènes désopilantes et violentes. Nous sommes sur un fil, et Jézabel oscille entre la mort et la vie, entre sa volonté de séduction et le sentiment encore obscur que son salut passera par cet homme.

Ce film met en présence des personnages passionnés, nous faisant traverser des contrées éprouvantes. Mais il sait aussi nous ménager des moments de grâce : ces sourires de SDF, d’enfants, jusqu’à ceux finaux, de David et de Jézabel, le chant des moniales accompagnant un long plan du visage de Jézabel se transformant. Les scènes du couvent sont ainsi comme des parenthèses suspendues où le fond des cœurs apparaît.

Se maintenir au carrefour du choix entre vie et mort est une entreprise risquée, et les limites d’un tel projet sont inévitables. Ainsi, les personnages secondaires pâlissent devant Jézabel, y compris David, non tant par sa jeunesse ou sa plastique que par l’absence de communauté et de soutien spirituel. Mais ces limites ne sont-elle pas ce qui nous permet à nous, spectateurs, de reconnaître, en filigrane de celui Jézabel, un autre chemin, qui passe par la croix ?

Le corps nu de Jézabel dans une mandorle lumineuse symbolise le projet de ce film : il expose une naissance, une traversée du mal et de la mort. Il sonne comme une supplique et une promesse, adressées d’abord peut-être à ceux qui sont dans les ténèbres. Comment ne pas alors penser aux paroles de Jésus à propos de la pécheresse qui lui a lavé les pieds de larmes et de parfum : « Ses nombreux péchés lui sont remis parce qu’elle a montré beaucoup d’amour » (Lc 7, 47) ?