En moins de vingt ans, nous sommes passés d’une connexion limitée  à une implantation massive d’outils mobiles connectés dans notre  environnement personnel. Comment cette présence nouvelle et indispensable interagit-elle plus particulièrement avec notre vie intérieure :  notre relation à nous-même, à l’autre, à Dieu ? Quels sont les enjeux  de cette « révolution numérique » qui ne se contente pas de bouleverser  notre manière de communiquer ou de travailler, mais qui touche notre  univers le plus personnel et le plus intime ? Avancer dans ce discernement invite d’abord à une conversion pour ne pas céder à des jugements  excessifs et réducteurs ( A. Corman ).
Il faut donc parcourir de l’intérieur ce paysage nouveau qui se développe en accéléré, pour mesurer  et apprécier au plus juste les impacts culturel, social, politique et spirituel de la réalité numérique sur notre vie personnelle et collective ( I. de  Gaulmyn ).
On peut se laisser prendre par les facilités inhérentes à la  connexion et oublier le réel, qui se rappelle alors à nous, parfois brutalement, parfois dans une parole de sens, suggérée par un au-delà de la  connexion, sorte de mémoire spirituelle du corps ( N. Le Gac ).
L’hyper-connection prend entièrement celui-ci et requiert toute l’attention, car  les sens sont tout entier investis dans ce qui les touche et les sollicite. Si  bien qu’un des fruits les plus imprévus et intéressants du numérique  pourrait bien être la reconstitution d’un espace intime personnel, là  où l’esprit du temps valorise plutôt une transparence de tous les instants  ( J. Arènes ).
En contrepoint, le film  Marie Heurtin met en scène le tact  inépuisable des gestes et des possibilités du corps que déploie une religieuse à l’égard d’une jeune fille sourde, muette et aveugle, lui donnant  ainsi d’accéder à de vraies relations ( C. Tuduri ). Nouveau milieu de  vie, internet, à l’image de la mer, rapproche et relie. L’homme numérique est l’homme du « co- », « individualiste solidaire » qui navigue  de collaborations en communautés efficaces et légères à la fois. Mais  où trouver l’escale pour souffler, goûter des rencontres plus gratuites,  s’incarner durablement ( N. Becquart ) ? Dans la Bible, la Sagesse  incarne cette qualité divine qui est de parcourir et comprendre la réalité  tout entière, en appréciant et jugeant ce que produit l’intelligence des  hommes. Où la trouver ? Sinon là où elle circule et se donne avec plaisir, dans cet « entre-deux » où naissent l’art, la technique, l’éducation  ( J.-M. Carrière ). Au-delà des règles nécessaires pour communiquer correctement sur le net, c’est une éducation de la parole et de l’écoute qui  peut tisser, dans les conditions d’extrême mobilité des connexions, des  relations communautaires plus solides, confiantes et durables, orientées  par un goût de l’autre ( G. Le Bel ). Depuis des années, des sites de  prière et de retraite en ligne s’y emploient en ouvrant dans la navigation de beaux espaces de repos, de contemplation, de conversation spirituelle, où on peut être guidé. Les demandes de relation plus profonde ou  d’accompagnement spirituel, qui s’ensuivent souvent, témoignent d’un  besoin de vraie rencontre qui prend son temps et instaure des limites  ( T. Hubert, J.-A. de Garidel, T. Lamboley ).
Il n’est pas facile de s’arrêter, mais la respiration spirituelle en est le fruit ; elle donne la force de  ne pas s’engluer dans les images et de résister aux géants économiques  qui en gèrent la mise en ligne ( V. Fabre ). La question « Où es-tu ? »  qu’entendent Adam et Ève au soir de la Création, dans le tout début de  la Bible, est aussi celle qui nous est posée dans ce monde naissant où  tout se transforme sous la puissance du numérique. Y reconnaître la  voix et le pas de Dieu est déjà se mettre à l’écoute de l’Esprit à l’œuvre  pour y incarner le Christ, comme le fit saint Ignace au XVIe siècle  (R. de Maindreville). Des questions précises et concrètes sur nos pratiques d’internautes ouvrent en vérité ce chemin de discernement et de  liberté ( A.-M. Aitken ).