Les problèmes d’héritage sont aussi vieux que le monde, et la Bible ne fait pas exception. C’est pourquoi, dans ce dossier, nous proposons en regard situations bibliques et situations contemporaines. L’héritage est en général constitué des biens de famille qui passent des parents aux enfants, et c’est autour des ces biens matériels que naissent bien des conflits (Franck Damour).
Mais il existe dans la Bible une ligne de réflexion différente dont fait état, par exemple, la maxime tirée du livre de Qohélet : « La sagesse est bonne comme un héritage ; elle profite à ceux qui voient le soleil » (Jean-Louis Ska). Chez les personnes âgées, la question de l’héritage apparaît surtout au moment où elles entrent en maison de retraite, à la suite d’un problème de santé diminuant leur autonomie. Ce qu’elles disent alors est étonnant. Il faut qu’elles passent par une dépossession de soi, à commencer par une dépossession effective de ses biens – ce qui est très douloureux (Annick Soudant-Roquette). Plus radicalement, le monde naturel est perçu la plupart du temps comme le décor de nos drames humains, et rarement pour lui-même, c’est-à-dire en reconnaissant ce premier don de Dieu, en le recevant chaque jour, en ressentant combien il est traversé de sa présence, comme s’il portait encore la marque de son doigt, le murmure de son souffle (Philippe Mac Leod). À travers toutes ces médiations, par conséquent, Dieu se communique déjà Lui-même.
Certes, nous en recevons l’accomplissement par le Christ dans l’Église. Mais il n’y a d’accomplissement que de ce qui est déjà offert et donné. C’est en quoi consiste pour le chrétien l’héritage permanent de l’Ancien Testament (Yves Simoens). Ceux qui refusent cet héritage s’appuient souvent sur une tradition rationaliste et agnostique, enrichie par l’évolution permanente des sciences et des techniques. Cette tradition contribue à soutenir une mise à distance des prétentions religieuses, dont les affirmations ne peuvent être validées avec la même rigueur de raison (Remi de Maindreville). À l’encontre, les tentations sécuritaires guettent les personnes au carrefour des cultures et des religions. Ces tentations sont autant de portes fermées à tout dialogue. La démarche permet de dégager des ouvertures inscrites, par exemple, dans les traditions bouddhique et chrétienne. Ces ouvertures donnent aux croyants de vivre l’aventure spirituelle d’une identité en dialogue (Claire Ly).
Dans la Lettre aux Hébreux, la question de l’héritage est présente sous un double aspect : Vis-à-vis du passé, comment se libérer de ce qui semble avoir entraîné fatalement les générations précédentes dans la désobéissance ? Face à l’avenir, comment entrer dans le salut promis, et déjà réalisé en celui que la Lettre désigne comme l’« Héritier » ? Bref, comment vivre le présent de telle manière que l’avenir ne nous fasse pas retomber dans les pièges du passé (Dominique Degoul) ? Dans le même sens, les petites soeurs de Jésus héritent d’une histoire d’alliance qui a commencé en 1939 sur cette terre d’Algérie, une terre où leur fondatrice rêvait de vivre depuis de nombreuses années sans pouvoir réaliser son rêve. Une terre promise ? Il s’agissait en tout cas de rencontrer des musulmans, mais aussi une population de nomades très pauvres, semi-sédentarisés en bordure d’une petite ville (une petite soeur de Jésus). Il est pourtant des héritages intransmissibles. Nul ne les reprend pour les perpétuer, mais on les pose comme des repères pour indiquer qu’autre chose est possible. Ce qui fut indique l’espace des créations, la liberté. Ainsi en est-il du rapport particulier qui unit une expression de la foi à une époque donnée. Ce n’est pas tant le résultat qui importe, que l’acte créateur. Les solutions passent, reste la question à Pierre : « M’aimes-tu ? » (Albert Rouet).