«Il a parlé par les prophètes », dit le Credo chrétien. « Nous croyons en Dieu (…), en ce que les prophètes ont reçu de leur Seigneur — et nous ne faisons pas de différence entre eux », lit-on dans le Coran (2,136). Les deux confessions de foi seraient-elles équivalentes ? Il est tentant de le penser et de voir, dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, des religions qui, à défaut d’être soeurs, pourraient bien être cousines. Mais on prendra garde aux équivalences faciles. Les mêmes mots ne signifient pas nécessairement les mêmes choses selon qu’ils entrent dans un ensemble ou dans un autre. L’oublier, c’est s’exposer à des erreurs de perspective et à de graves déconvenues.
 

« Prophète », un mot équivoque


Dans son discours de Pentecôte, Pierre qualifie David de prophète (Ac 2,30). Dans les anciens récits, le roi David était flanqué des prophètes Gad (1 S 22,5 ; 2 S 24,11) ou Natan (2 S 7,2) ; les narrateurs de ce temps-là savaient bien qu’on ne pouvait pas être à la fois roi et prophète. Que s’est-il donc passé entre deux ?
Dans la société israélite préexilique était qualifié de prophète quelqu’un qui disait transmettre un oracle divin. C’était une fonction parmi d’autres, celles des rois, des prêtres, des sages, etc. Et de même qu’il pouvait y avoir des rois tyranniques, des prêtres corrompus, des sages incompétents, il pouvait y avoir des prophètes trompeurs. Cela n’avait rien de scandaleux ; il appartient à chaque société de se prémunir contre le mauvais fonctionnement de ses institutions.
On en a un exemple aux traits grossis jusqu’à la caricature dans l’affrontement entre Michée fils de Yimla et les quatre cents prophètes royaux (1 R 22). Deux siècles et demi plus tard, l’incident qui opposa les deux prophètes Hananya et Jérémie (Jr 28) est parfaitement éclairant. Pour leurs contemporains, l’un et l’autre ont le statut de prophète, mais ils n’apprécient pas la situation géopolitique de la même façon : croyant en l’inviolabilité de Jérusalem, chantée dans les psaumes et inscrite dans le livret d’Isaïe, Hananya pousse le peuple à résister aux Babyloniens ; Jérémie oppose une autre révélation et invite Jérusalem à reconnaître la domination babylonienne. Il suffisait d’attendre quelques années pour savoir qui avait été le plus lucide. Les oracles de Jérémie trouvèrent des scribes pour assurer leur préservation ; ceux de Hananya tombèrent dans les oubliettes de l’histoire. Quelques siècles plus tard, le traducteur grec du livre de Jérémie ne pouvait plus parler du « prophète Hananya » ; pour lui, il était « pseudo-prophète ». Le prophétisme n’était plus une fonction sociale, mais une intervention divine nécessairement au-dessus de tout soupçon.
Le mot avait changé de sens, parce que la société avait changé. Avant l’exil, Israël et Juda étaient des petits...

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