Qu'est-ce qu'être juste ? Un maître hassidique de la fin du XIXsiècle, rabbi Tsadoq haCohen de Lublin2, raconte que la lumière du premier jour de la Création, celle qui permettait de voir jusqu'aux périphéries du monde, n'a pas complètement disparu puisque Dieu en a placé un éclat au cœur de chacune de ses créatures. C'est cet éclat qu'il contemple en elles, au moment où il les arrache au chaos, et qui les lui fait voir bonnes. Qu'est-ce qu'un juste alors ? C'est celui ou celle qui perçoit, comme Dieu, l'éclat de la lumière en son prochain, quand bien même cet éclat serait caché sous un « monceau de détresse ou de méchanceté ».

Merveilleuse histoire : le juste n'est pas d'abord celui qui possède la lumière de Dieu mais celui qui perçoit cette lumière hors de lui-même, à la périphérie de lui-même, en chaque créature, et qui peut alors « parier » sur cette lumière, envers et contre tout… Merveilleuse histoire : le rapport juste à autrui n'est pas d'abord fondé sur une injonction morale mais sur un sentir juste, qui est capacité à participer au sentir même de Dieu…

Mais comment ce « sentir juste » peut-il naître et s'éduquer en moi, jusqu'à pouvoir accueillir dans le même acte le visible et l'invisible, jusqu'à pouvoir reconnaître, hors de moi-même, ce « je-ne-sais-quoi » dont j'ai fait l'expérience au plus intime de moi ? Et puisque l'on parle de sentir, ce sentir-là serait-il en lien, voire en continuité, avec l'expérience sensible la plus ordinaire, avec l'exercice de ces sens corporels par lesquels je reçois concrètement le monde, grâce auxquels aussi je trouve mes repères et ma place parmi les êtres et les choses ?

Le chemin vers un tel sentir ne devrait rien avoir de bien extraordinaire. Chaque jour, l'enfant nous y devance quand il joue. Sous une table de bois devenue carrosse, il est tout entier « présent » et tout entier « ailleurs », attentif à un invisible qui ne le